sep
06
2018

Centres pénitenciers: les détenus privés de communication avec les leurs traumatisés

Les détenus éprouvent des sentiments négatifs envers leurs familles et leurs proches quand ils ne sont pas en contact régulier avec eux. Les moyens de communications étant sous contrôle strict de l’administration pénitentiaire, la présence physique des leurs et durant toute la période de détention est encouragée pour atténuer les souffrances des familles concernées.

Une femme incarcérée à la prison centrale de Mpimba qui a requis l’anonymat ne cache pas son chagrin. Elle est ressortissante de la commune Muha. Veuve, elle vient de passer deux ans sous les verrous. Les larmes aux yeux, elle a de la peine à décrire les conditions de vie de ses six enfants. Selon elle, pendant la première année de sa détention, ses enfants n’ont pas fréquenté l’école.  Ils vivent difficilement sous le toit de sa sœur. Celle-ci, elle-même en charge de son ménage, ne parvient pas à nourrir et à satisfaire les besoins scolaires de ces enfants. Des personnes de bonne foi leur viennent en aide. « Une année après mon séjour dans cette prison, les volontaires du quartier ont eu pitié de mes enfants et se sont organisés pour voir comment aider mes enfants à retourner à l’école.

De mes six enfants, quatre sont des élèves. Ils ont perdu la tête. Ils ne sont plus motivés à poursuivre leurs études. C’est moi qui les inculquais le bien-fondé de faire les études. Et aujourd’hui, ils manquent mon encouragement et l’amour parental. Ils n’ont pas à qui confier leurs problèmes ou leur besoins. Nul doute que mon emprisonnement aura des impacts négatifs sur l’avenir de ma progéniture. », a-t-elle indiqué. Elle ajoute qu’elle est souvent ébahie quand ses enfants lui rendent visite et lui soumettent des problèmes sans qu’elle soit à mesure de leur venir en aide. La possession d’un téléphone portable étant prohibé pour les détenus, cette femme en détention dit ne pas être en contact permanent avec ses enfants et ses proches. Elle craint pour leur comportement actuel et l’état des lieux du patrimoine familial.

Chez la femme comme chez l’homme

S.H. est originaire de Cankuzo. Il est marié et père de deux enfants. Ingénieur agronome, il travaillait dans une ONG avant son incarcération. Il éprouve la honte d’être en situation de dépendance alors qu’il prenait en charge toute une famille malgré que ses bases financières fussent florissantes. « Moi et mon ami avons constitué un capital et mis en place une boutique. Après mon emprisonnement, il s’est approprié la boutique disant que j’étais son travailleur », s’inquiète t-il. Sa femme est chômeur et ne savait pas le capital de son mari dans tous les détails.

Alors que l’ONG dans laquelle il était employé lui avait promis de payer sa spécialisation dans ce domaine, tout a été arrêté. S.H. contribuait dans la scolarité de ses petits frères et sœurs, mais ses parents vendent aujourd’hui le cheptel pour pouvoir les assister. Ils n’ont pas cessé de me rendre visite. Ce qui me réjouit. Après mon transfert à Mpimba, ils ont aidé ma femme à s’approcher de moi ici à Bujumbura. Elle vient me voir plusieurs fois. Ce qui me soulage. « Ma famille évolue decrecendo. Elle et certains de mes amis sont restés à mes côtés, mais une grande partie de mes amis avec qui on partageait le cuit et le cru m’ont abandonné », regrette-t-il. Il demande à la DGAP de construire un poste téléphonique dans les prisons pour que les détenus puissent communiquer avec leurs familles.

Communication autorisée avec réserve

« Tous les détenus burundais ont le droit de communiquer avec le monde extérieur. On autorise à ce que chaque détenu reçoive ses proches quand ils lui rendent visite », indique Gervais Hajayandi, Directeur Général des Affaires Pénitentiaires (DGAP). Toutefois, il informe qu’on interdit aux détenus de posséder les téléphones portables dans leurs cellules.

Mais pour  un cas urgent, ils s’adressent à la direction de la prison pour demander l’autorisation. Il ajoute que si un détenu a besoin de communiquer certaines choses, il peut le faire au moyen de correspondances. Néanmoins, l’article 38 de la Loi no1/24 du 14 décembre 2017 portant révision du régime pénitentiaire précise que le directeur de la prison met un sous-couvert sur cette correspondance. Cela est une alternative à l’article 39 de la même loi qui stipule que la détention régulière des appareils de communication dans une cellule est prohibée. M.Hajayandi explique que cela s’inscrit dans le cadre d’éviter des disfonctionnements à l’intérieur des maisons de détention.

Bien que les détenus soient placés dans des prisons situées à proximités de leurs familles, il y en a qui sont incarcérés loin de leurs familles pour des raisons de procédure judiciaire. Le DGAP évoque ici les raisons  d’enquête par le ministère public. Il s’agit du transfert disciplinaire, de maladie ou de formalité judiciaire.  Pour le motif disciplinaire, explique t-il,  le détenu n’a pas le choix quant à la prison vers laquelle il faut le transférer. Mais pour le motif judiciaire, il doit être transférer dans une prison proche de la juridiction.

Autorisation de visite taillée sur mesure 

« Notre règlement autorise un détenu à visiter sa famille. Cela dépends de son comportement », atteste M.Hajayandi. Néanmoins, il affirme qu’en cas de décès d’un membre de la famille d’un détenu le règlement d’ordre intérieur des établissements pénitentiaires prévoit qu’il y ait des autorisations de visites et tenant compte des circonstances. En cas de décès des proches, des  familles ou des membres des détenus, ils peuvent demander des autorisations de visite mais que c’est le directeur qui analyse la requête. « Est-ce que tel détenu a perdu sa femme, son enfant, son proche peut-il être autorisé à assister aux funérailles ? Si c’est un détenu qui est dangereux, indiscipliné, on est réticent. Si c’est un détenu qui a un bon comportement en prison, il peut introduire la demande et notre règlement prévoit qu’il peut même  passer  5 jours en famille», rassure t-il. L’appréciation par la direction pénitentiaire peut être favorable ou défavorable.

Impact de l’absence de contact entre un détenu et sa famille

Dr. Rénovate Irambona, professeur à la faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, à l’université du Burundi indique qu’il y a un impact psychologique de l’emprisonnement et de la restriction de la liberté de communication avec la famille. « Dans les premiers jours, le détenu se sent visité. On lui apporte de petites choses. Il est encouragé. Cela montre l’affection que la famille a pour lui. Mais à un certain moment, la famille se lasse. Si la situation perdure, le prisonnier va se sentir rejeté, délaissé », rassure Mme Irambona. Selon elle, on trouve qu’il y en a qui vont se droguer, qui vont être tellement désespérés qu’ils vont se fâcher contre leurs familles ou qui vont peut être commettre d’autres crimes en prison. On le voit même à la fin de la détention quand ils arrivent à la maison, ce sont des personnes qui ont des difficultés à se réadapter, des personnes qui ont des difficultés à communiquer avec leurs familles. Des personnes qui auront des rancœurs, des ressentiments par rapport à leur entourage parce qu’ils se sentent abandonnées, ils se sentent dans des situations d’injustice, de rejet. Elle ajoute que quand un détenu apprend que son fils est décédé et qu’il ne peut participer à son enterrement, à faire le deuil avec sa famille, à faire la levée de deuil, cela a un impact traumatisant.  Dr Irambona suggère qu’il y ait une prise en charge psychologique pour accepter leur situation, pour mieux vivre et améliorer leurs conditions de vie en prison. Ceux qui doivent sortir de prison  doivent apprendre comment se comporter d’une façon socialement correcte à l’extérieur de même que ceux qui font le deuil en prison et ceux qui souffrent terriblement de la séparation de leurs enfants.

La progéniture d’un détenu en souffre

« Les enfants éprouvent de la honte. Ils ne comprennent pas ce qui s’est passé et souvent on ne leur explique pas correctement ce qui s’est passé. Ils posent des questions, on ne leur répond pas. Souvent les parents sont angoissés. Et quand ces enfants finissent par comprendre, surtout les adolescents ou les enfants âgés, souvent éprouvent un sentiment de honte.

Des fois aussi ils éprouvent des sentiments d’injustice tout comme leur parent qui est en prison », informe Mme Irambona. Elle considère que les familles des détenus bénéficient d’un accompagnement psychologique. Si un des parents est en prison, l’autre devrait avoir des capacités de dire la vérité à ses enfants.

Signalons que le 17 août 2018, le nombre total des détenus était estimé à 10 mille, dont 60 femmes, 99 nourrissons et  112 jeunes. La prison de Mpimba contenait à lui seul 3563 détenus.

Loi n°1/24 du 14 décembre 2017 portant révision du régime pénitentiaire.

Art.36 : dans le cadre du maintien familiaux et sociaux, les détenus condamnés peuvent avoir des permissions de sorties pour des raisons diverses appréciées par l’administration pénitentiaire. Les motifs pouvant donner lieu à ces permissions sont précisés par le règlement intérieur. Les demandes de sortie sont examinées par la commission des sorties de la prison et doivent être portées à la connaissance du directeur général des affaires pénitentiaires. Pour les détenus préventifs, l’autorisation de sortie est accordée par le tribunal selon l’étape de la phase de procédure

Art.37 : les détenus reçoivent librement les visites de leurs conseils pendant les heures légales de service.

Art. 38 : sous réserves des conditions pouvant être fixées par l’administration pénitentiaire ou le règlement d’ordre intérieur, les détenus ont le droit de recevoir des visites, en particulier celles des membres de leurs familles. Dans les conditions de l’alinéa précédent, les détenus peuvent communiquer avec l’extérieur par voix de correspondance avec un sous-couvert du directeur de la prison sans préjudice du contenu de l’art.42

Art.39 : les détenus sont autorisés, sous la surveillance rapprochée d’un surveillant, à communiquer avec leurs proches. Toutefois, la détention régulière des appareils de communication est prohibée.

Règle 3 : L’emprisonnement et les autres mesures qui ont pour effet de couper du monde extérieur sont afflictifs par le fait même qu’ils les dépouillent du droit de disposer d’elles-mêmes en les privant de leur liberté. Sous réserve des mesures de séparation justifiées ou du maintien de la discipline, le système pénitentiaire ne doit donc pas aggraver les souffrances inhérentes à une telle situation. (Résolution 70/175 adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 17 décembre 2015 relatif à l’ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela)

burundi-eco.com

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