juin
04
2015

Conférence « Burundi: démocratie en péril » - Les moments forts d’une soirée consacrée à la compréhension de la crise burundaise

Depuis plus d'un mois, le Burundi s'enfonce dans la crise, la candidature du président Nkurunziza pour un troisième mandat étant massivement jugée contraire à la Constitution et à l'Accord de paix d'Arusha. Manifestations violemment réprimées, tentative de coup d'Etat, combats à l'arme lourde dans les rue de la capitale Bujumbura, destruction des radios indépendantes et fermeture du pays à une information pluraliste, assassinat d'un opposant politique...

Des dizaines de militants de la société civile se cachent ou sont partis en exil, et plus de 170 000 Burundais auraient franchi les frontières pour se réfugier dans les pays limitrophes. Une situation catastrophique...

Enseignants engagés dans des collaborations avec l'Université du Burundi; responsables politiques sensibles à la défense de la paix et des droits de l'homme dans ce pays partenaire privilégié de la Belgique; ONG actives sur le terrain burundais: ils ont été nombreux à manifester leur inquiétude et à demander que les autorités belges et européennes prennent des positions fermes pour prévenir l'escalade de la violence.

La Belgique a posé quelques actes symboliques forts: suspension de la coopération avec la police burundaise, annulation de l'appui financier aux élections, et finalement menace de ne pas poursuivre la coopération bilatérale si les principes démocratiques ne sont pas respectés.

Mais, au-delà de cela, comment agir ? Qu'est-il possible de faire ? Avec qui ? Et pourquoi est-ce indispensable ?

Face à un public venu en nombre à l'ULB ce mardi 2 juin, ce sont entre autres ces questions que les deux organisateurs et animateurs de la soirée, Marie Soleil Frère (ULB) et Manu Klimis (Université Saint Louis), ont posé aux différents orateurs présents à cette conférence. 

 

Tomas Van Acker est membre du Conflict Research Group et travaille à l'Université de Gand. Ses recherches portent sur les dynamiques de contestation et de conflit. Il a analysé le profil des jeunes fortement engagés dans les manifestations Il insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un mouvement de contestation ethnique. Pour lui, les jeunes qui descendent dans les rues ont des aspirations bien plus larges et profondes que la seule question du 3ème mandat de Pierre Nkurunziza. Qui sont exactement les manifestants ? 

Thomas Van Acker nous a également présenté un portrait nuancé des imbonerakure.

 

Julien Nahayo représente la diaspora burundaise. Il est membre du Comité de solidarité et de suivi de la crise burundaise. Entre les années 80 et 2000, il a été conseiller diplomatique du Premier Ministre burundais mais aussi Ambassadeur au Rwanda, au Canada, en Belgique et auprès de la Commission européenne. Pour lui, la situation ressemble à  un volcan. Mais le Burundi n’est pas un volcan! Toutefois, il invite la communauté internationale à observer de très près le rôle des imbonerakure qui ont été formés pendant des années à réprimer toute voix discordante à celle du régime en place. Ils ont été entrainés en RDC et y ont  rencontré des interahamwe. Depuis le début de la crise, il souligne le rôle tenu par la Belgique et la décision du Ministre de la coopération de suspendre l’aide. « Cette mesure, dit-il, si elle suivie par d’autres gouvernements empêchera le pays de fonctionner ». L’ex-Ambassadeur  retient également les Cartes blanches rédigées par les universitaires, mais aussi celles des députés et des journalistes qui ont motivé les autorités belges à prendre leur décision. 

Julien Nahayo formule également une série de recommandations à la communauté internationale pour que celle-ci pèse de tout son poids sur la crise burundaise. Parmi celles-ci, figure une demande explicite à la Belgique de jouer un rôle de coordination et  aux Nations unies de s’engager explicitement au Burundi. 

 

Ernest Sagaga travaille à la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) en qualité de Chargé des Droits de l'homme et de la Communication.  Après la destruction de plusieurs médias burundais, il qualifie la situation de catastrophique. De nombreux journalistes sont entrés  en clandestinité ou ont fui le pays pour échapper aux escadrons de la mort chargés de les tuer. Plus de 35 journalistes sont réfugiés dans les pays limitrophes. Ernest Sagaga a rappelé que plus aucune radio indépendante ne fonctionne. Après avoir arrêté quelques jours, le journal Iwacu sort périodiquement mais, faute de recettes publicitaires, son sort est menacé.  Le journaliste a insisté : « En l’absence de médias indépendant, on n’aura pas d’élection transparente. » La FIJ demande donc aux partenaires internationaux de poser comme préalable l’ouverture de l’espace médiatique et de respecter l’indépendance des journalistes. Car pour Ernest Sagaga, « c’est évident, l’adversaire du pouvoir en place n’est plus l’opposition mais les médias indépendants. Il y a eu une confiscation du débat politique. Le pouvoir a bien compris que pour garder le monopole du débat, il fallait casser les médias.»

 

Marie Arena est actuellement eurodéputée auprès du groupe S & D. Elle s’investit entre autre sur les questions du commerce international avec le continent africain et notamment le sujet stratégique des minerais des conflits. En 2012, elle avait soutenu une prosition de résolution au Sénat belge afin de dénoncer les difficultés de la préparation du processus électoral et la nouvelle loi sur la presse au Burundi. Pour elle, la situation est délicate, non seulement au Burundi, mais aussi en RDC et au Rwanda, deux pays menacés par les mêmes réalités électorales. Même si la mission d’observation des élections est suspendue, Marie Arena explique que L’UE garde une mini cellule à Bujumbura et que l’Union ne cautionnera pas les élections. Elle insiste pour qu’il y ait un débat au Parlement européen à  Strasbourg pour aller plus loin, tout en veillant à ce que la population ne souffre des mesures politiques internationales. « Nous devons plaider, dit-elle, pour des procédures adéquates pour restreindre la  mobilité et les visas de certaines personnes ». Elle regrette la timidité de l’Ambassade France par rapport aux faits actuels. « Il faut être méfiant par rapport à des messages qui se veulent apaisants. »

 

Isabelle Durant, après avoir été Vice-présidente du Parlement européen,  est actuellement députée régionale bruxelloise. Pour elle, le soutien au mouvement des femmes et filles du Burundi est important et précieux, car elles représentent le futur et le renouveau du pays. Elle souligne l’intérêt des initiatives citoyennes comme Tournons la page, Le Balai Citoyen ou Y en a marre et prône leur mise en réseau. Elle propose également que les Délégations Wallonie Bruxelles soutiennent les échanges de ces  mouvements pour faire de la résistance citoyenne dans les pays concernés. M

 

Eric David enseigne le droit international public et le droit des conflits armésà l’Université libre de Bruxelles (ULB). Pour lui, le Conseil de Sécurité des Nations Unies pourrait rapidement recréer une mission de maintien de la paix au Burundi. Si cette piste est juridiquement possible, il rappelle que les Nations Unies restent traumatisées par le génocide rwandais de 94. Pour Eric David, la Belgique pourrait prendre l’initiative d’une réunion du Conseil de Sécurité, éventuellement avec le soutien de l’UE.

 

Valérie Rosoux est maître de recherche FNRS et professeur de négociation internationale à l’Université Catholique de Louvain (UCL). Pour elle, la Belgique a un rôle à jouer qu’elle le veuille ou non ! Le quel ? Cela varie bien d’entendu de la politique d’un ministre des affaires étrangères à l’autre. Elle peut en tout cas avoir ce rôle de protecteur selon le concept du responsability to protect. Dans ce cadre, la Belgique doit être ferme et semble l’être pour le moment.

 

Peter Moors est le Chef de cabinet du Ministre de la Coopération, Alexander De Croo. Inévitablement, il est revenu sur la décision de suspendre la coopération avec le Burundi tout en s’interrogeant sur les alternatives ? « Etre le premier bailleur de fonds d’un pays, cela donne des responsabilités » a-t-il reconnu. Actuellement, l’appui de la Belgique s’élève à  50 millions d’euros. L’aide se concentre sur trois secteurs : l’agriculture, la santé et l’éducation. Si Pierre Nkurunziza devait se maintenir au pouvoir, la Belgique réorienterait sa stratégie pour ne pas pénaliser la population. Le défi serait alors d’identifier les éventuels partenaires et organisations pour mettre en œuvre cette aide. 

 

 

 

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