aoû
23
2022

Conflit à l'Est : « Il faut maintenir la pression militaire et accentuer les efforts diplomatiques » (Juvenal Munubo)

La situation sécuritaire continue de se dégrader à l’Est du pays, où sévit une centaine de groupes armés. Pour Juvénal Munubo, député UNC et membre de la Commission défense et sécurité, « il faut nettoyer l’armée des officiers affairistes » et financer réellement le processus de démobilisation et de réinsertion des rebelles. Face à la rébellion du M23, soutenue par le Rwanda, et à la faiblesse de l’armée congolaise, le député de Walikale estime que la solution durable au conflit reste diplomatique.

Afrikarabia : Un rapport encore confidentiel des experts de l’ONU confirme le soutien du Rwanda au M23. Que peut changer cette reconnaissance internationale et avez-vous été surpris par le contenu de ce rapport ?

Juvénal Munubo : Pas du tout, l’armée congolaise avait déjà récolté de nombreuses preuves de l’implication du Rwanda. Et déjà, en 2013, un premier rapport de l’ONU avait établi la responsabilité du Rwanda en appui au M23. L’histoire semble donc se répéter. Toute la question est maintenant de savoir ce que l’on fait du rapport. Je crois qu’il faut un plaidoyer de haut niveau. Le président Tshisekedi a rencontré le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, et ils en ont parlé. Pour moi, c’est important que le Rwanda soit sanctionné et qu’une juridiction internationale puisse examiner ces preuves et la responsabilité de Kigali. Les contacts diplomatiques doivent se poursuivre. Le processus de Luanda doit être soutenu, et la feuille de route qui prévoit le retrait du M23 de ses positions doit être appliquée.

Pourtant, la situation sécuritaire sur le terrain n’a pas évolué. Ce rapport de l’ONU peut-il changer la donne dans ce conflit ?

Le rapport vient renforcer les positions du gouvernement qui dénonçait l’implication du Rwanda. Il peut aussi y avoir un effet psychologique bénéfique pour les militaires qui sont au front. Ils savent maintenant que la communauté internationale est au courant du soutien de l’armée rwandaise à la rébellion. Mais cela ne peut pas suffire. Les militaires doivent être davantage soutenus. Ils ne doivent pas manquer de nourriture ou d’équipements.

Deux conditions sont souvent avancées pour mettre fin à l’insécurité à l’Est du pays : une profonde réforme de l’armée et un processus de démobilisation et de réinsertion (DDR) des groupes armés efficace. On a l’impression que l’on n’avance pas vraiment sur ces deux points ?

C’est vrai. On n’a pas fait beaucoup de progrès dans la réforme du secteur de la sécurité et dans le DDR. On parle actuellement beaucoup du départ de la Monusco. C’est très facile de dire que la Monusco doit partir, mais qu’est-ce qui a été fait pour la reconstruction de l’armée et pour les opérations de démobilisation pendant tout ce temps ? Peu de choses. Cela fait plusieurs mois qu’un coordonnateur du DDR a été nommé, avec une nouvelle approche de réinsertion communautaire et de stabilisation. Mais il n’y a aucun projet. Lorsque vous arrivez au Nord-Kivu ou en Ituri, on ne sait pas où se trouvent les centres de réinsertion. Il n’y en a tout simplement pas. Le DDR reste encore un projet de papier avec une structure qui existe à Kinshasa, mais il n’y a pas de filières de réinsertion sur le terrain, dans les zones de conflit.

Fin juillet, on a vu des combattants démobilisés du camp de Mubambiro, près de Goma, quitter le centre de démobilisation faute de prise en charge et retourner dans la brousse.

C’est un effet un problème. Vous sensibilisez ces jeunes à déposer les armes et ensuite, ils restent dans les centres de démobilisation sans nourriture, sans encadrement et sans perceptives. On doit repenser cette stratégie et il faut clairement davantage de volonté politique. Nommer un coordinateur de DDR ne suffit pas. Il faut quitter les bureaux climatisés de Kinshasa et aller sur le terrain. Il faut aussi assurer le financement du processus entre le gouvernement et la communauté internationale.

Concernant la réforme de l’armée, quelle serait la première priorité pour rendre les FARDC plus efficaces face aux groupes armés ?

Il y a un projet de loi de programmation qui vient d’être adopté par le gouvernement et qui devrait être examiné à la rentrée. Ce qui est dommage, c’est qu’au vu de la situation sécuritaire à l’Est, nous aurions pu examiner ce projet avant les vacances parlementaires. Mais la session extraordinaire n’a pas pu se tenir. Pour autant, ce projet de loi est un outil important, notamment car il permet de programmer des dépenses de fonctionnement et d’investissement. Ce qui est différent du budget annuel qui est assez faible, avec seulement 400 millions de dollars pour une armée confrontée à de nombreux défis. Il faut notamment des équipements modernes, des drones de surveillance, des avions de chasse… Il faut davantage de moyens et une loi de programmation sur trois ans. Nous avons déjà eu un projet de loi de programmation pour la police, mais il n’a pas été financé ! Il faudra dont être très vigilant concernant l’armée.

Le rapport de l’ONU démontre, certes, l’implication du Rwanda dans l’aide au M23, mais il montre aussi que l’armée congolaise se sert de groupes armés comme supplétifs. Cette collusion entre les FARDC et certaines milices pose question ?

Cela doit évidemment interpeller le gouvernement. Ce qui permet de comprendre la question de l’embargo sur les armes pour le Congo. Cet embargo a été mal compris, car il oblige la notification pour l’achat d’armes par le gouvernement. Mais la réalité, c’est qu’il y a des officiers congolais qui font du business avec les groupes armés, et cela doit cesser. Il y a des structures internes à l’armée qui doivent veiller à cela : l’inspection générale des FARDC et l’auditorat militaire. L’Est du pays est une zone riche en opportunité d’affaires et certains officiers sont parfois tentés de mélanger business et sécurité. Le président Tshisekedi doit nettoyer les écuries d’Augias dans l’armée. Les officiers affairistes doivent être écartés. Cela s’impose.

Pour ramener la sécurité à l’Est, l’envoi d’une force militaire régionale a été décidé par la communauté de l’Afrique de l’Est (EAC). Peut-elle contribuer à stabiliser la région ?

Cette force peut être une force complémentaire aux efforts internes des FARDC. Mais il faut savoir quels seront les pays contributeurs des troupes ? Si on trouve des contingents rwandais, ougandais ou burundais dans cette force, il y aura un déficit de confiance. Il faut que les pays contributeurs ne soient pas directement impliqués dans le conflit congolais. Si on trouve des Ougandais, que l’on soupçonne aussi de soutenir le M23, cela n’apportera aucune solution au conflit.

Quelle serait la bonne stratégie à adopter par Félix Tshisekedi pour mettre fin à l’insécurité ? On a l’impression qu’il tâtonne un peu

Certaines personnes disent qu’il faut faire la guerre au Rwanda. Est-ce que ces personnes sont bien conscientes des réelles capacités de l’armée congolaise ? J’en doute. Dans cette situation, je crois qu’il faut davantage accentuer les efforts diplomatiques. Si votre armée n’est pas assez forte, il faut user de la diplomatie. Nous devons continuer comme à Luanda, où la feuille de route validée était favorable au Congo. Mais nous devons faire très attention dans le choix de nos partenaires. Quelques jours après la rencontre de Luanda, voulue par l’Union africaine, nous avons vu une délégation congolaise partir à Kampala ! Et cela a étonné tout le monde de voir Félix Tshisekedi demander l’appui de Museveni dans le conflit. Personne n’a vraiment compris. Pour moi, il faut maintenant évaluer la feuille de route de Luanda et dégager les responsabilités de ceux qui ne veulent pas l’appliquer.

La ville frontière de Bunagana est toujours dans les mains des rebelles du M23 depuis le 13 juin dernier. Cela montre la faiblesse de l’armée congolaise ?

Cela inquiète bien sûr. Nous devons exiger un peu plus du gouvernement. Il faut que l’armée se réorganise absolument. La ville de Bunagana est stratégique. Les rebelles perçoivent les taxes douanières. Des équipements militaires peuvent transiter par ce poste-frontière. Bunagana ne doit pas rester longtemps aux mains du M23. Il faut que le gouvernement prenne ses responsabilités. La session parlementaire de septembre sera mouvementée à ce sujet.

La phase diplomatique doit-elle passer obligatoirement par une négociation avec le M23 ?

Dans un premier temps, il ne faut pas l’envisager. Ce serait se décrédibiliser. Il faut maintenir la pression militaire et faire des progrès diplomatiques. Il me semble que la solution durable se trouve dans la diplomatie, et pas forcément dans l’action militaire.
https://www.mediacongo.net/article-actualite-109480_conflit_a_l_est_il_f...

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