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10
2020

Dépistage de la Covid-19 : une campagne à la hauteur des attentes ?

Au début, quelque peu dans « le déni » avant de se raviser et reconnaître que la pandémie est là. Le dernier lancement de la campagne est un ouf de soulagement pour la population. Toutefois, des interrogations ne manquent pas.

Dossier réalisé par Fabrice Manirakiza, Jérémie Misago, Hervé Mugisha, Clarisse Shaka et Rénovat Ndabashinze.

Une campagne massivement répondue

Le ministère de la Santé a débuté, lundi 6 juillet en mairie de Bujumbura, la campagne de dépistage de masse de la Covid-19 sur trois centres. Partout, les gens ont afflué en masse. Reportage.

Lundi 6 juillet. Des jeunes filles et garçons affluent petit à petit. Des femmes et hommes, des agents des forces de l’ordre et de la sécurité en uniforme aussi. Vers 12h30, ils sont des centaines à l’Ecole technique supérieure de Kamenge, ETS.

Ils viennent pour se faire dépister à la Covid-19. Au centre, se laver les mains est la première étape. Il faut ensuite recevoir un masque. Toute personne est accueillie dans un espace d’attente avant de se diriger vers le lieu d’identification. Un tube et une bandelette sont donnés pour prélèvement. Dans ce processus, la distanciation physique est assurée.

Des équipes médicales sont à l’œuvre. Deux médecins portant des équipements de protection dont des visières de protection s’occupent des prélèvements. Le processus suit quelques étapes. D’abord l’identification de l’échantillon par le nom, date de naissance du patient ainsi que son numéro d’identité nationale. L’échantillon est numéroté sur autocollant fourni par le laboratoire de l’INSP.

Le patient est averti que cet examen peut être désagréable pendant un court instant. L’écouvillon est doucement et profondément enfoncé dans la narine. Le médecin essaie de détacher autant de cellules que possible en grattant la face interne de la narine suivant la direction de la partie inférieure du nez.

L’écouvillon est placé dans le tube avec le milieu de transport et l’extrémité de la tige est cassée. Le tube est ensuite hermétiquement fermé en attendant son transfert au laboratoire pour analyse. Vers 13h, 160 personnes sont déjà dépistées. Plusieurs dizaines attendent leur tour.

Ceux qui sont venus se faire dépister se disent soulagés. Ils seront désormais fixés sur leur état de santé par rapport à la pandémie. « Nous avons entendu l’appel du ministère de la Santé à propos du dépistage à la Covid-19 initié par le président de la république. C’est dans l’optique de lutte contre le coronavirus, ennemi du monde, dont le Burundi», raconte un citadin de la commune de Ntahangwa venu se faire dépister.

Même son de cloche chez M.N. Cette femme fait savoir que la toux sèche et la ‎fatigue sont des symptômes qui l’ont poussée à aller se faire dépister. « L’objectif et de savoir mon état de santé pour me faire soigner et protéger ma famille et mes voisins ».

Un test et un traitement gratuit

Il est 13h15. Le deuxième centre de dépistage : L’Hôtel Source du Nil ex-Méridien, au centre de la ville de Bujumbura. Le nombre des prélèvements s’élèvent à 115. Mais là, contrairement au premier centre, il n’y a pas beaucoup de monde. Deux personnes seulement sont en attente.

Au sud de la capitale économique, en commune Muha, le centre de dépistage a été aménagé au terrain de la paroisse catholique de Kanyosha. A 14h20, 154 personnes sont dépistées. Des dizaines sont en attente. Ils sont principalement des jeunes filles et jeunes garçons à venir se faire dépister

Thaddée Ndikumana, ministre de la Santé, se félicite que la population a massivement répondu à ce rendez-vous. « Nous avons été agréablement surpris par la réponse de la population car nous avions tablé sur 250 personnes par jour au niveau des trois communes. Mais à 14h, nous avons déjà prélevé plus de 419 ».

Selon lui, tous les échantillons sont acheminés à l’Institut national de santé publique, INSP pour analyse. « Les équipes chargées d’analyser doivent travailler assidument pour que les résultats soient disponibles dans les 24h».

Le ministre Thaddée rappelle que le ministère dispose d’un système de détection, de traitement et d’isolement. « Si le diagnostic est précoce, le traitement est facile et la guérison devient spontanée. Tous ceux sont testés positifs sont mis directement sur le traitement qui est gratuit ».

Il se dit satisfait que cette journée ait débuté sans difficultés. Le ministère s’y était préparé à l’avance. Il tient à remercier le gouvernement du Burundi et ses partenaires techniques et financiers pour avoir financé cette compagne.

D’après le ministre de la Santé, à l’intérieur du pays, le début de dépistage de masse est prévu pour la semaine prochaine. Chaque province est dotée d’un centre de dépistage. « Si le diagnostic est précoce, le traitement est facile et la guérison devient spontanée », assure Thaddée Ndikumana.

Le chef du gouvernement déconseille tout attroupement

Alain Guillaume Bunyoni : « La vie n’a pas de prix »

Mardi 7 juillet. Avec un masque blanc sur la bouche, le CPG Bunyoni arrive au centre dépistage de l’ETS Kamenge vers 11h. Il est accueilli par des cadres du ministère de la Santé publique, dont le ministre Thaddée Ndikumana, portant aussi des masques. Il y fait une visite guidée.

«Nous sommes satisfaits de la manière dont la population a répondu à cette compagne de dépistage de la covid-19. Personne n’est épargné. J’espère même que les étrangers qui le souhaitent auraient répondu à cet appel. Que chacun soit fixé sur son état de santé », déclare le ministre Bunyoni. Il tient à féliciter le ministère de la Santé pour sa perspicacité et sa technicité.

Le premier ministre fait savoir qu’il y encore des gens qui doutent et craignent un isolement qui leur prive de la liberté de circulation. Il les invite à répondre à cette campagne de dépistage pour se protéger, protéger leur famille et le pays contre ce fléau. « Ne doutez pas, la vie n’a pas de prix! Si vous sentez un des symptômes, venez-vous faire dépister».

La santé publique, une priorité du gouvernement

Ce chef du gouvernement rappelle que l’amélioration de la santé de la population, notamment la lutte contre le coronavirus, est l’une des activités prioritaires du gouvernement. Parmi elles figurent une campagne intitulée : « Ndakira, sinandura kandi sinanduza abandi» (Je guéris, ne me contamine pas, ni ne contamine les autres à la Covid-19 Ndlr).

Alain Guillaume Bunyoni interpelle tout burundais à éviter des attroupements ou des cérémonies non essentiels. Il réitère l’appel au respect des mesures de prévention contre la pandémie telles qu’annoncées par le ministère en charge de la santé. Il s’agit notamment du lavage des mains à l’eau propre et au savon ainsi qu’à la solution hydro chlorée. Mais aussi l’abstinence des étreintes digitales et des embrassades dans la salutation.

La campagne de dépistage de masse pour des personnes présentant des signes de la Covid-19 en mairie de Bujumbura a débuté ce lundi 6 juillet. Elle s’étend sur trois mois. Pour les trois premières journées de la campagne, 1924 personnes ont été dépistées sur trois centres. 30 autres l’ont été dans différents hôpitaux de la capitale économique.


Des mesures salutaires mais difficiles à appliquer

Charles Ntirampeba : « La mise en application de ces mesures

demande des moyens financiers, matériels et humains colossaux.»

Désinfecter régulièrement les sièges des véhicules de transport en commun, porter des masques pour les usagers, des recommandations du ministère de la Santé publique et de la lutte contre le Sida, pour prévenir la Covid-19.

Une mesure en soi salutaire mais complexe, commente Charles Ntirampeba, Secrétaire de l’Association des transporteurs du Burundi (ATRABU). « La mise en application de ces mesures demande des moyens financiers, matériels et humains importants dont on ne dispose pas notre association.»

Il rappelle néanmoins que les propriétaires des véhicules de transport en commun ont été les premiers à répondre favorablement à l’appel des autorités pour prévenir la Covid-19.

Il cite le fait d’installer des kits de lavage sur tous les parkings, de rendre disponible le savon et de placer des agents pour rappeler aux lavages des mains. « Tout cela se fait avec les moyens de l’association. »

Pour lui, cette recommandation de désinfecter les sièges et de porter des masques montre qu’on entre dans une autre étape. « Ce qui est en soi une bonne chose pour combattre cette pandémie. »

Cependant, ce responsable associatif estime que le problème se situe à la mise en application de ces mesures. Il espère que le ministère va organiser une rencontre avec eux pour donner leurs avis et considération. « Pour le moment, nous sommes en train de faire une évaluation des besoins nécessaires. L’ATRABU va contribuer. Et pour le reste, il reviendra à l’Etat de trouver des moyens ».

Des appréhensions partagées par des chauffeurs. « Si l’Etat décide, nous n’avons pas de choix. Mais, il faut qu’il rende gratuit ces désinfectants », plaide Abdul, un chauffeur de bus rencontré à un des parkings du centre-ville.

En ce qui est du port du masque, ce jeune homme trouve que le mieux serait de diminuer le nombre de passagers par bus. « Ce qui entraînerait cependant des pertes énormes si le gouvernement ne hausse pas le prix du ticket ou ne baisse pas le prix du carburant ».

Des recommandations appréciées par les usagers de ces véhicules de transport en commune. « Elles sont vraiment nécessaires. Seulement, elles sont très difficiles à mettre en application. Comment désinfecter des sièges déjà délabrés ? », critique Suzanne, une jeune maman croisée au parking du nord, au centre-ville.

Pour elle, il faut que le gouvernement exige l’achat des nouveaux bus assurant le transport en commun. « Certains d’entre eux sont très vieux. Nos habits sont toujours déchirés. C’est déplorable.» Dans cette période de coronavirus, cette maman propose l’usage des bus de l’Otraco qui ont assez de places et larges. « Là, il y a moyen même de faire la distanciation. Sinon, des contaminations vont se multiplier. »


Le personnel d’un centre de confinement laissé-pour-compte

Le personnel de l’hôtel Source du Nil, premier centre de confinement, se plaint de ne pas être assez protégé et traité à sa juste valeur. Il accuse le ministère de la Santé de ne pas respecter ses engagements.

Des employés de l’hôtel Source du Nil demandent au ministère de la Santé de les traiter à leur juste valeur.

C’est en février 2020 que l’hôtel Source du Nil a été réquisitionné par le ministère de la Santé pour accueillir en quarantaine les gens qui proviennent des pays touchés par la pandémie.

Un membre du personnel de cet hôtel raconte comment ce réquisitionnèrent s’est déroulé depuis le début : « Le ministre de la Santé débarque en personne, au mois de février, à l’hôtel Source du Nil, le soir vers 18 heures. Il est en tenue décontractée, le training. Je suis à la réception.

D’après ce témoin, le ministre, Thaddée Ndikumana, lui demande d’appeler tous les responsables de l’hôtel. « Vous n’êtes plus régis par le ministère du Commerce. Mais plutôt le ministère de la Santé », lui explique le ministre. Cet employé, surpris par la nouvelle, se voit contraint d’appeler ceux qui étaient déjà rentrés. Ces derniers reviennent à l’hôtel en urgence. Le ministre appelle à son tour quelques membres de son cabinet. « Nous discutons autour d’un verre. Il nous demande de faire les devis de l’hôtel, relever toutes les sources de revenus de l’hôtel… »

C’est ainsi que le ministre leur explique que l’hôtel vient d’être réquisitionné par le ministère de la Santé, « conformément aux accords du gouvernement. »

Ces responsables soulèvent le souci du sort du personnel. Le ministre rétorque que le personnel de l’hôtel sera désormais géré par le ministère de la Santé, au même titre que le personnel affecté à la gestion de la pandémie. « Il nous dit que c’est l’OMS qui a demandé toutes ces informations et qu’il va gérer tout cela. »

Une peine perdue…

Cet employé de l’hôtel transformé en centre de confinement affirme que le ministère de la Santé n’a jamais respecté ces engagements jusqu’aujourd’hui. Le personnel de l’hôtel continue à recevoir leur salaire normal de l’hôtel. « Alors que notre travail a changé. Nous nous sacrifions pour la vie des malades. Nous avons abandonné nos familles. Le ministère avait promis de nous traiter au même pied d’égalité que le personnel affecté à la gestion du covid-19. Mais rien. »

D’après ce témoin, les employés de l’hôtel travaillent tour à tour pendant 14 jours, sans rentrer à la maison. « Nous sommes en contact direct avec les cas suspects. » Cet employé, qui accueille en premier les personnes qui arrivent en quarantaine, parle d’un sacrifice qui dépasse même celui des médecins. « Qu’on nous traite de la même manière alors. »

Ce jeune homme indique également que les moyens de protection ne sont pas suffisants. Ils portent seulement des gants et des masques. Parfois, le stock se vide. D’après lui, il arrive des fois où les gens qui doivent transporter la nourriture dans les chambres manquent ces moyens de protection.

Ces employés demandent au ministère de la Santé de leur accorder une prime donnée aux autres affectés au programme covid-16. Le témoin parle de 60 mille BIF par semaine.


Les blouses blanches demandent de la protection

Marie Bukuru:”Les responsables du ministère de la Santé doivent vérifier constamment si le matériel est arrivé là où il doit être”.

Marie Bukuru, présidente du Syndicat National des Travailleurs de la Santé (SNTS) n’y va pas par quatre chemins : «Le personnel soignant est plus exposé que les autres. Il faut mettre à sa disposition tout le matériel de protection nécessaire».

Selon elle, il ne faut pas que des annonces seulement mais vérifier si réellement le matériel est disponible et en qualité suffisante. «De plus, il faut organiser des formations sérieuses et continues à l’endroit du personnel soignant afin de leur montrer comment fonctionner ce matériel. Le Covid-19 est un nouveau virus car personne n’avait jamais fait face auparavant».

Marie Bukuru exhorte les responsables du ministère de la Santé de vérifier constamment si le matériel est arrivé là où il devait être et de sanctionner ceux qui le détournent. De cette façon, poursuit-elle, le personnel soignant accueillera les patients sans crainte.

«De plus, le personnel soignant doit être dépisté tout le temps. Il ne faut pas s’intéresser seulement aux malades en oubliant les infirmières et infirmiers qui se sont occupés d’eux. Comme ça, ils auront le courage de travailler car ils verront qu’ils ne sont pas des laissés-pour-compte».

Quant au Cadre d’expression des malades du Burundi (CEMEBU), il se dit satisfait de la décision du gouvernement de lutter contre le Covid-19. «Nous remarquons que les effectifs des cas positifs continuent d’accroître du jour au lendemain. Le ministre de la Santé a annoncé que les malades du Covid-19 sont soignés gratuitement. Nous soutenons cette initiative. S’il y a des gens qui demandent aux malades de payer des frais de soins de santé, cela doit cesser». Pour lui, le ministère doit être vigilant car ce ne sont pas tous les Burundais qui peuvent s’acheter les médicaments contre le coronavirus.


Des ajustements s’imposent…

L’engouement de la population pour le dépistage est réel

Avec la décision de dépistage massif, dans l’opinion, c’est un ouf de soulagement. « Une bonne chose que le gouvernement ait fini par comprendre que l’heure est grave », observe M.N, médecin, expert en Santé publique.

Une preuve que la population attendait de pied ferme la campagne : l’effectif de personnes dépistées qui va croissant. Autour de 250, le nombre de personnes prévues par le ministère qui seront dépistées quotidiennement sur les 3 centres de la mairie de Bujumbura, rien qu’au cours de la 1ère journée, le ministère de tutelle a annoncé avoir dépisté plus de 640 personnes pour 28 cas testés positifs sur les trois centres en Mairie de Bujumbura. Lors de la 2ème journée, elles étaient 593 pour 6 cas testés positifs.

Pour M.N, une situation qui risque de mettre à nue les failles de cette campagne si il n y’a pas de mesures prises concernant le renforcement de la capacité d’accueil dans les structures sanitaires. « Si jamais les formes graves devraient se généraliser, il y a risque de débordement des hôpitaux ». Alors que pas mal structures sanitaires continuent d’accueillir des cas suspects, l’expert comprend mal pourquoi le ministère n’a pas encore pensé au détachement des deux ou trois unités de dépistage.

« C’est capital pour s’enquérir l’évolution de tous ce cas suspects. Sinon, ce sont de foyers de nouvelles contaminations qui seront en train d’être entretenus. Ne connaissant pas leurs statuts, un prestataire de soins pourrait l’hospitaliser à côté d’un malade souffrant d’une autre pathologie ».

Actuellement pris en charge par le ministère de la Santé, ce médecin demande la réévaluation en ce qui concerne la subvention des médicaments. « Il ne doit pas y avoir de deux poids deux mesures ».

Pour lui, comme leur achat est pris en charge, il est capital que les unités d’intervention prélèvent tous les cas suspects, hospitalisés dans toutes les formations sanitaires pour s’enquérir de leur statut. De la sorte, explique-t-il, déterminer celui qui sera pris en charge ou non sera facile.

Quant à l’affectation des fonds attendus, il demande une canalisation rationnelle. « C’est aberrant qu’une structure sanitaire telle que le CHUK, en cette période puisse continuer à fonctionner sans une radio ». Outre l’achat des équipements adaptés, notamment les respirateurs…

Pour éviter des contaminations nosocomiales, selon lui, la formation du personnel soignant est l’autre urgence. « Il ne suffit pas de les protéger, il faut aussi les former sur la prise en charge des patients en cette période. Après tout, tous les patients ne souffrent pas de la covid-19 ».

www.iwacu-burundi.org

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