oct
15
2015

Grands Lacs : Corruption dans les médias et tentatives de solution

La corruption frappe de plein fouet les praticiens des médias des Grands Lacs, dit une certaine opinion publique. Selon un rapport de TI-R (Transparency International-Rwanda), tous les journalistes (399) et partenaires des médias (1093) interviewés reconnaissent l’existence du phénomène. Elle s’appelle Giti au Rwanda, Coupage en République Démocratique du Congo ou Listi au Burundi. Est-ce une façon de monnayer le reportage auquel est invité le journaliste au cours de ses fonctions ? 

Réunis à Kigali du 12 au 16 Octobre 2015, des journalistes de la sous-région se sont penchés sur la question dans le cadre de ’’La Rencontre de Journalistes de la Région des Grands Lacs’’ organisé par la Deutsche Welle Akademie à l’Hôtel Aberdeen de Kagugu, un quartier du Nord Est de Kigali.

Dans le camp des journalistes, « publier l’information, obtenir une publicité, censurer l’information sont les motivations principales qui justifient la ‘GITI’ », a dit Appolinaire Mupiganyi, Directeur Exécutif de TI-R alors qu’il intervenait au cours d’une séance de ce Dialogue des Médias.

Par contre les partenaires des médias (35.2% des interviewés) "offrent ce pot de vin pour encourager la médiatisation de leurs activités », explique Mupiganyi. Et d’ajouter que d’autres cas fréquents (15.2% des interviewés) « s’observent sous forme de népotisme quand il est question de recrutement du personnel des médias ».

Au Burundi, le même phénomène existe aussi. Alexandre Niyungeko, Président de l’Union Burundaise des Journalistes (UBJ), raconte : « Cette forme de corruption des journalistes s’appelle LISTI. Quand les journalistes viennent de participer à une cérémonie où ils sont invités, ils demandent souvent poliment s’il n’y a pas une liste à remplir. Cela sous entend qu’ils réclament des frais de transport », a dit Alexandre.

« La corruption est une réalité en RDC bien que voilée par des vocables tels que ‘Coupage’, ‘Motivation’, ‘frais techniques’, ‘transport’, ‘accélération’… », indique Tuver Wundi, point focal de JED/ Journalistes En Danger, une organisation congolaise pour la défense des droits des journalistes. Selon lui, « la précarité financière des organes de presse est à la base de ce fléau. Le journaliste n’étant pas payé comme il faut ou pas du tout, il ne peut que quémander au près de ses sources d’information.

Evelyne Luyelo de l’Union Congolaise des Femmes des Medias, participante à la Rencontre des Journalistes, va plus loin. « Même certains journalistes pourtant bien rémunérés exigent des sources d’information la dite « accélération » pour mieux les motiver, une façon pour elle de montrer qu’au-delà des moyens précaires des organes de presse, cette corruption qui n’est pas répressible par la loi, s’institutionnalise informellement dans les pays de la région des Grands Lacs.

Eradication de ce GITI

« Face à la vulnérabilité des média, les organes de régulation doivent exercer un suivi et un contrôle des média. Exiger d’eux des documents attestant des contrats et rémunérations régulières de leurs journalistes et autres avantages comme l’affiliation à la Caisse de Sécurité Sociale et autres frais de santé et de transport », dit Mupiganyi.

Judith Raupp, journaliste allemande et animatrice de l’Atelier Dialogue des Médias, évoque quant à elle les activités génératrices de revenus ainsi que les coopératives pour améliorer la situation économique des organes de presse en vue de combattre la corruption. Un avis que partage Peacemaker Mbungiramihigo, Secrétaire Exécutif du MHC (Haut Conseil des Médias).

D’autres personnalités qui se sont prêtées à la presse sont très mécontentes du statut de pauvreté criante où sont confinés les organes de presse indépendante incapables d’accorder un salaire décent ou mieux un contrat régulièrement honoré par les directions des médias au profit de leurs agents journalistes.

« Il faut carrément que le Gouvernement rwandais ouvre une ligne budgétaire aux organes de presse locaux officiellement enregistrés pour qu’ils puissent payer régulièrement leur personnel avec tous les avantages y afférents dont l’affiliation à la caisse retraite, à l’assurance maladie mais aussi aux moyens de transport pour aller d’un point à l’autre au devant de l’information », a indiqué Immaculée Ingabire , présidente de TI-R à un point de presse trouvant carrément que ce GITI n’est pas une corruption en tant que tel, que c’est un pis aller que les organes de monitoring de la corruption ne savent pas comment qualifier.

Contre l’indépendance des média ?

En faisant de telles déclarations, cette présidente de TI-R, ancienne journaliste à un quotidien autrefois gouvernemental IMVAHO NSHYA, elle doit avoir pesé ses mots. Pour elle, le Rwanda est une société en pleine mutation économique. Il lutte bec et ongle pour dépasser complètement l’économie de subsistance pour l’économie de marché.

Tous les programmes économiques montrent un capitalisme rwandais en effervescence. Beaucoup de violations des droits de l’homme sont actuellement dénoncées par les Commissions gouvernementales mises en place comme des garde-fous du gouvernement et de ses agents contre leurs éventuels dérapages.

« Un citoyen qui se plaint contre des mesures gouvernementales outrancières est vite compris pour que de telles mesures soient rediscutées et revues », a confié Mme Solange Ayanone, Secrétaire Exécutive de Pax Press, une ONG locale intervenant dans la démocratie participative.

« Lors de nos séances foraines, une dame a soulevé la question de l’impôt foncier annuel de 6.000 francs disant que les autorités ont ordonné que cet impôt soit payé à la prochaine saison culturale. Elle est montée contre des décisions qui tombent sur les citoyens sans discuter et leur donner du temps de préparation. Immédiatement, les autorités de niveau supérieures ont compris la remarque et l’impôt a été temporairement suspendue pour reprendre une démarche procédurière normale », a-t-elle ajouté montrant le pouvoir de la presse qui donne la parole aux citoyens qui s’expriment et aux autorités rwandaises qui ont une oreille attentive pour redresser leurs erreurs.

En foi de quoi, quoique la Présidente de TI-R n’est pas comprise par une autre société civile qui pense qu’étant financée par l’Etat le quatrième pouvoir risque d’être bâillonnée démocratiquement par ce dernier, cette suggestion devrait tomber dans les oreilles ouvertes des parlementaires rwandais. Ceux-ci doivent comprendre qu’une société rwandaise en plein développement a besoin d’une presse et des journalistes ayant une expertise assurée et une capacité financière votée au parlement, donc un droit.

IGIHE 

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