déc
13
2022

Interview exclusive avec le Pr Gérard Birantamije : « La vraie force, il faut la rechercher dans le dialogue sincère entre la RDC et le M23 »

Le politologue et expert en sécurité estime que les différentes armées engagées en RDC constituent un outil de pression symbolique au service du politique.

Dans son discours tenu à l’occasion du lancement de la 3e session des consultations politiques du processus de Nairobi pour la paix et la sécurité de la RDC, le président Evariste Ndayishimiye a fait entendre aux autorités congolaises que s’ils échouent à partager équitablement « le gâteau », celui qui les aiderait à le faire aura aussi l’intention d’en prendre une portion. Votre commentaire ?

Mon commentaire est simple. C’est un secret de Polichinelle, mais toute vérité n’est pas bonne à dire. Vaut mieux le savoir. Je pense que le président en exercice de l’EAC a pointé du doigt l’angle mort de ces processus de négociations d’arrêt des hostilités et de retour à la paix en RDC de manière globale et à l’Est en particulier. Ces vingt dernières années, la RDC a bénéficié de la plus grande force de maintien de la paix des Nations Unies, des interventions militaires multiformes des pays voisins dont le Rwanda et l’Ouganda.

Mais en fait, qu’est-ce qu’on voit au finish ? La multiplication des groupes armés, l’insécurité sans cesse grandissante, des violences de tout genre. Bref, les Congolais se disent toujours comme dans l’ouvrage de Béatrice Pouligny, « Ils nous avaient promis la paix ». Le fait que le président en exercice de l’EAC semble s’en prendre à la RDC me semble une critique sérieuse de ce nouveau mercenariat de la paix.

Son statut de président en exercice de l’EAC n’oblige-t-il pas le président Ndayishimiye à un discours moins clivant ?

Parfaitement, il a failli à une obligation de ne pas tenir des propos susceptibles de heurter une partie des protagonistes. Le moment n’était pas opportun si l’on se situe d’une part dans sa position de médiateur, et surtout de président d’un pays contributeur de troupes dans le cadre de la force sous régionale, et vis-à-vis d’un pays appartenant à la communauté. C’est un écart de langage qui est de nature à doucher les différentes initiatives.

Quand on voit le déploiement actuel des forces militaires de pays de l’EAC, ce qu’a dit le président burundais n’est-il pas une prophétie auto-réalisatrice ?

Oui en effet, c’est comme s’il y a un partage des zones d’influence avec l’Ouganda au Nord Est, le Kenya dans la ville de Goma, le Burundi au Sud-Kivu, et bien évidemment le Rwanda avec son soutien présumé aux rebelles du M23. Ce qu’ils en font, c’est bien évidemment une affaire à suivre tellement ce « scramble for Congo DR » me semble hallucinant à bien des égards. La question qui reste pendante est celle de savoir qui de l’Etat congolais ou de l’armée congolaise va pouvoir coordonner toutes ces forces et les fixer sur l’objectif principal de ramener la paix à l’Est du pays comme le montre la matrice de la force sous régionale.

Êtes-vous d’avis que le président Yoweri Museveni qui estimait en septembre 2021 que les interventions militaires étrangères déstabilisent la situation du pays hôte ?

Je ne peux pas le dire dans les termes du président Museveni. Il reste unique dans ses propos un petit brin provocateurs, mais il n’est pas loin de la vérité. Il suffit d’analyser les grandes interventions de maintien de la paix des vingt dernières années. Il y a lieu de dire que le retour à la paix reste chimérique. Voyons avec des pays comme la Somalie, Palestine-Israël, la RDC, la Centrafrique, le Mali ou le Sahel de manière globale, etc. Les recherches menées sur ces opérations de maintien de la paix montrent plutôt qu’elles s’écartent des véritables enjeux de retour à la paix et à la stabilité. Parfois elles ne sont pas loin de générer de nouvelles situations conflictuelles voire créer des situations anétatiques (sociétés sans Etats). L’Etat existe mais il reste récupéré par différents acteurs qui tirent leur épingle du jeu. Ici les rébellions, là les politiques, là encore les ONG, etc. L’équation se complexifie, et l’Etat reste de nom. Bref, Museveni et Ndayishimiye interpellent sur le rôle central que doit jouer l’Etat, et en l’occurrence l’Etat congolais si l’on reste dans cette dynamique de force sous régionale.

Toutefois, Kampala s’apprête à envoyer 1000 hommes dans le cadre de la force militaire régionale de l’EAC, ce qui représente le plus gros contingent au sein de cette force. N’y a-t-il pas une incohérence tenant compte de ces propos tenus il y a plus d’un an?

Nous sommes ici dans un calcul réaliste de coûts et avantages. Les opérations multinationales de maintien de la paix ou de stabilisation sont devenues depuis la fin de la guerre froide des vitrines des relations internationales. Elles permettent surtout aux dictatures de montrer, parfois de narguer le monde entier : « Euh soyons réalistes, nous ramenons la paix dans tel pays, faut pas regarder dans notre assiette interne ». Au-delà il faut y voir aussi des enjeux de puissance en perspective dans la sous-région.

Pourquoi l’Ouganda laisserait-il passer une occasion pareille de « structurer »/ « déstructurer » cette scène de paix régionale ? Le deuxième aspect, l’on donne du travail aux soldats. Nos soldats de la région sont soumis généralement à des menaces internes plus qu’externes. Je peux dire qu’ils n’ont pas assez à faire et rares sont ceux qui ont un planning du lendemain, du mois ou de l’année à venir. Les projeter sur des terrains est une aubaine pour eux et pour les Etats contributeurs.

Que peut-on espérer des pourparlers pour la paix en RDC avec l’absence marquante du M23 ?

C’est à ce niveau que je trouve intéressant d’analyser le cas congolais. C’est un cas d’étude à bien des égards. On parle de pourparlers de paix (Luanda, Nairobi, et d’autres capitales) mais on ne voit pas les protagonistes. Certes, le gouvernement congolais est présent avec toute la symbolique y associée, mais ce n’est pas avec le Kenya, le Burundi, la Tanzanie, l’Ouganda, … dont il est question. Pas plus d’ailleurs le Rwanda qui a toujours nié son implication et son soutien au M23. Donc, tous ces processus ont bon pondre des résolutions ou des accords, si le M23 n’est pas invité à la table des négociations cela restera du bluff, du chantage.

Trouvez-vous réalistes les conditions posées par Kinshasa qui exige que le M23 se retire des positions acquises pour entamer un dialogue ?

Pas du tout. Il s’agit d’une expression de sentiments nobles, de ce qui devrait être. Mais je pense que sans la force, le M23 continuera à faire prévaloir ses revendications vis-à-vis de l’Etat Congolais. Et la force nécessaire je ne la vois pas dans cette force régionale est-africaine ni dans la Monusco. La vraie force, il faut la rechercher dans le dialogue sincère entre la RDC et le M23. Ce qui n’est pas à l’agenda des acteurs impliqués et concernés.

Si le M23 poursuit son offensive, n’allons-nous pas tout droit vers un affrontement entre ce groupe rebelle et la force militaire régionale de l’EAC ?

C’est probable. Mais il faut savoir que ces armées ne sont pas si engagées à mener une guerre. Elles constituent à mon avis un outil de pression symbolique au service du politique. Ce qui revient à la case départ. Si le conflit est fondamentalement politique, entendu ici la survie de la communauté rwandophone tutsi vivant au Congo et assimilés, il s’impose des outils politiques aussi. Ce n’est pas une première avec le M23, il suffit de remonter le temps sans passions.

A l’occasion d’une rencontre avec une délégation de jeunes congolais, le président Congolais a appelé ses concitoyens « à ne pas regarder les Rwandais comme des ennemis mais comme des frères qui ont besoin de notre solidarité pour nous débarrasser et débarrasser l’Afrique de ce genre de dirigeants rétrogrades ». Avec une telle escalade verbale, les pourparlers pour la paix en RDC ont-ils une chance d’aboutir ?

C’est une escalade qui pourrait ramener les pourparlers à la case départ. Le président Congolais réinvente les pièces du puzzle. Ce qui m’inquiète ce n’est pas la stratégie mais le stratège. Son message va dans tous les sens surtout quand il se porte garant de la sécurité des Rwandais. Au fond, il attise le feu et remet aux calendes congolaises les initiatives en cours.
https://www.iwacu-burundi.org/interview-exclusive-avec-le-pr-gerard-bira...

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