aoû
05
2021

La CVR en procès

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L’équipe de la CVR avec au milieu son président.

Au moment où la Commission Vérité et Réconciliation poursuit sa quête de découverte de la vérité par des enquêtes et des exhumations des restes humains à travers le pays, des voix persistent à demander plus de neutralité à cet organe et de s’intéresser à d’autres périodes sombres. La CVR tranquillise.

Les propos recueillis sur terrain auprès de la population dans différentes provinces comme Rumonge, Bururi, Gitega, Makamba, Muyinga et Kirundo où la CVR a procédé aux exhumations des restes humains dans des fosses communes datant de 1972, divergent.

Pour ma part, témoigne Léonard Ndayipfukamiye, habitant de Gatete à Rumonge, il faut mettre au grand jour les carnages perpétrés par les Hutu et pareil pour ceux qui ont été massacrés par les Tutsi afin que les Burundais qui ont été tués soient connus.

Ce que la CVR pourrait rectifier, propose-t-il, c’est de bien mener des enquêtes et mettre la lumière sur tout ce qui s’est passé et le montrer à la population, sans d’autres calculs derrière.

D’un côté le travail mené par la CVR est louable mais de l’autre, nuance Elie Niyoyitungira, habitant de Muhora à Rumonge, ce que je pourrais dire comme critique ou comme souhait, c’est que cette commission mette au même pied d’égalité toutes les composantes de la société burundaise. Selon lui, cet organe est penché d’un côté. « Il ne faut pas que les enquêtes soient orientées vers les Tutsi mais qu’elles se fassent des deux côtés. Et de là, il y aurait de l’espoir pour les Burundais et les Burundaises ».

Pas de réconciliation avec un esprit revanchard

D’après Félix Kazaroho, habitant de Busebwa à Rumonge, les exhumations ne sont pas mauvaises en soi. « Non plus montrer les restes humains, n’est pas mauvais ».
Il se pose ou pose quelques questions : « Mais est-ce qu’ils le font avec sincérité ? Le font-ils avec empathie ? Ou il y a quelque chose cachée derrière. S’ils le faisaient avec empathie, ce serait bien »

Selon cet habitant de la zone Busebwa à Rumonge, il y a des messages qui devaient accompagner ce travail de la CVR pour montrer qu’ils le font avec sincérité. « Mais les messages qui accompagnent ce processus montrent qu’ils ne le font pas avec empathie. Face à des antagonismes, sans empathie, sans tolérance, il n’y a pas de sincérité ».

Pour travailler dans la droiture, souhaite-t-il, il faut s’intéresser à toutes les parties, montrer les atrocités commises par chaque camp. « Franchement, personne n’est innocente. Dans ce processus, quand des gens sont tentés par un esprit revanchard et qu’il arrive qu’ils se vengent, toutes les actions sont vouées à l’échec ».

Au nom de la réconciliation, propose Félix Kazaroho, il faut pouvoir montrer ce qui s’est passé des deux côtés et que les gens se demandent pardon après avoir avoué leurs crimes. « Le problème, c’est que ni les Hutus, ni les Tutsis, personne ne veut reconnaître ses forfaits. Il faut que l’Etat présente des excuses aux Burundais comme voie de sortie ».

Les propos divergents sur le travail de la CVR, c’est également du côté des acteurs politiques. Là, il y a plus de polémiques, les uns le disent : ils n’attendent rien de cette commission, ni la vérité, ni la réconciliation mais d’autres parlent d’une bonne équipe qui inspire confiance.

C’est le cas de l’acteur politique proche du pouvoir, Kefa Nibizi : « C’est trop tôt pour évaluer parce qu’il y a eu plusieurs périodes sombres qui ont endeuillé notre pays et là la population burundaise dans toutes ses composantes a souffert ».

Mais aujourd’hui, fait-il remarquer, la CVR se focalise sur les événements de 1972 mais il y a eu d’autres crises qui se sont passées avant 1972 et même après.

« Nous pensons que cette commission va travailler sur les autres périodes tel que le stipule la loi régissant la CVR afin que toute la vérité sur tout ce qui s’est passé sur le Burundi soit connue. Et quand elle va travailler sur tous les événements sanglants, rien n’empêchera à toutes les composantes de notre société à faire confiance à cette commission », note Kefa Nibizi.

« Il ne faut pas précipiter les choses »

Kefa Nibizi : « La CVR est sur une bonne lancée, pourvu qu’elle travaille bien sur toutes les périodes sombres.»
Selon lui, la CVR est sur une bonne lancée, il faut qu’elle travaille bien sur toutes ces périodes de triste mémoire et les documente et qu’elles soient publiées de la même façon que les événements de 1972. « Ceci permettrait d’éviter des lamentations qui pourraient jeter du discrédit sur ses réalisations ».

Pour Kefa Nibizi, l’optimisme est permis, ce n’est pas le cas pour les acteurs politiques proches de l’opposition : ils parlent de faux départ arguant le non-respect du prescrit de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation dans ses protocoles en rapport avec les deux mécanismes préconisés : une CVR et une Commission internationale d’enquêtes judiciaires qui devait aboutir à la mise en place d’un Tribunal spécial.

Tatien Sibomana : « Je n’attends pas grand-chose de cette CVR.»
Tatien Sibomana est parmi les acteurs politiques très critiques par rapport aux travaux de la CVR : « Est-ce que la vérité recherchée aujourd’hui par la CVR est celle que les négociateurs d’Arusha avaient convenue ? Je répondrai sans ambages que non.»

La vérité recherchée aujourd’hui par la CVR, souligne cet acteur politique, c’est celle des hommes politique au pouvoir. « Dans la première loi régissant la CVR, il était question d’un conseil d’experts internationaux pour crédibiliser ses résultats ».

Selon Tatien Sibomana, cette commission devrait proposer des modalités pour tendre vers la réconciliation véritable entre Burundais mais aujourd’hui ce que fait la CVR, c’est le contraire de la vérité.
« Et quand c’est le contraire de la vérité, c’est naturellement contre la réconciliation. Et cela fausse le processus, fausse les enquêtes qu’un parquet pourrait faire s’il était mis en place », statue cet acteur politique proche de l’opposition.

Au moment où les critiques enflent sur les exhumations menées par la CVR, avec des appels à ne pas privilégier que les événements de 1972, cette commission tient à rassurer : « La CVR ne se limitera pas sur cette période sombre mais elle va s’intéresser à toutes les mémoires blessées. Chaque personne meurtrie est pressée et veut d’abord sa vérité, la guérison de sa blessure.»

Selon Pierre-Claver Ndayicariye, son président, comme principe général, la commission a commencé par la tragédie de 1972. « Aussitôt ces travaux terminés, nous entamerons 1988, puis 1993 et les années qui ont suivi. Il faut être patient. Se tromperait qui voudrait précipiter les choses ».

Que de défis à relever

Jean Bosco Harerimana : « La CVR a des défis à relever pour gagner la confiance de toutes les composantes de la société burundaise.»
Pour Jean-Bosco Harerimana, professeur d’université et expert en Justice transitionnelle, le travail de la CVR suscite des réactions divergentes. Selon lui, la CVR fait de son mieux mais cette commission a des défis à relever pour gagner la confiance de toutes les composantes de la société burundaise.
« Seules certaines victimes parlent mais ceux qui ont conçu, planifié et exécuté des tueries se murent dans le silence et cela fait qu’une partie de l’opinion met des points d’interrogation sur la vérité provenant d’une seule source », note cet expert en Justice transitionnelle.

Et ce n’est pas tout comme défi : « La CVR a des problèmes de finances, c’est la seule équipe de Bujumbura qui sillonne tout le pays. Et la loi régissant cet organe avait prévu des démembrements jusqu’au niveau des communes parce que c’est là où les choses se sont passées.»

Pour ce professeur d’université, « cette vérité, c’est pour les communautés, les gens dans les communes, sur les collines qui ont vu, entendu».

Cette commission fait également face à un problème de collaboration. « La seule CVR nommée par le gouvernement ne saurait arriver à la vérité, seule. La vérité éclate au grand jour avec la participation de plusieurs parties prenantes », estime cet expert en justice transitionnelle.

https://www.iwacu-burundi.org/la-cvr-en-proces-2/

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