mai
13
2016

A l’intérieur de la crise burundaise : quand WhatsApp remplace la radio

Depuis la libéralisation de la presse au début des années 90, les médias burundais ont traversé de nombreuses crises politiques et économiques. Mais la crise actuelle, qui a débuté il y a un an lors de la candidature du président Nkrurunziza à un troisième mandat, illustre à la fois un recul historique de la liberté de la presse et une mutation du système d’information au Burundi. En effet, pour le meilleur et pour le pire, les réseaux sociaux ont comblé le vide laissé par la disparition des radios indépendantes les plus écoutées du pays. Bien qu’utiles pour une population privée d’autres moyens de communication et accessibles grâce aux téléphones portables, les réseaux sociaux ne peuvent remplacer le journalisme professionnel.

Un recul historique pour la liberté de la presse

La fermeture des principales radios du Burundi en mai 2015 a été à la fois une fin et un commencement. Dans un pays où la radio était la source principale d’information pour 90 pour cent de la population, la destruction de Bonesha FM+, Radio Publique Africaine (RPA), Isanganiro, Radio Télévision Renaissance et Rema FM a été le résultat d’une épreuve de force engagée depuis au moins 2010. Bien avant la crise électorale de 2015, plusieurs affaires retentissantes ont illustré les rapports tendus entre le pouvoir et le monde des médias : l’emprisonnement pendant un an du journaliste Hassan Ruvakuki pour avoir enquêté sur un groupe armé (en première instance, ce dernier avait été condamné à la perpétuité avant d’être condamné à trois ans de prison en appel et d’être libéré pour « raison de santé » en 2013), la bataille autour de la nouvelle loi sur les médias en 2012/2013 qui a été contestée devant le tribunal de la Communauté d’Afrique de l’Est, l’incarcération de Bob Rugurika, directeur de la RPA, suite aux investigations menées par sa radio sur l’assassinat de trois sœurs italiennes (en février 2015, sa libération a donné lieu à une mobilisation spontanée sans précédent au Burundi).

Pour le meilleur et pour le pire, les réseaux sociaux ont comblé le vide laissé par la disparition des radios indépendantes les plus écoutées du pays.

La crise électorale de 2015 a porté cette épreuve de force à son paroxysme : les médias se sont retrouvés au cœur du champ de bataille au sens propre comme au sens figuré. Lors du putsch manqué du 13 et 14 mai 2015, les insurgés ont vainement tenté de s’emparer de la radio télévision nationale (RTNB) et Rema FM, proche du pouvoir, a été détruite par des opposants au troisième mandat. Au lendemain de la tentative de prise du pouvoir, la reprise en main de la capitale par les forces loyalistes a abouti à la destruction en tout ou en partie des locaux de Bonesha, RPA, Isanganiro et Radio Renaissance. En juin 2015, les autorités judiciaires ont refusé la reprise d’activités de ces quatre radios et, en août dernier, une commission d’enquête a établi des « complicités » entre certains dirigeants de médias privés et les putschistes. Sur cette base, le procureur a lancé des mandats d’arrêt contre plusieurs journalistes.

En raison du climat de menaces, d’intimidations et de violences ayant suivi le coup d’Etat manqué, environ une centaine de journalistes burundais (soit un tiers de la profession) ont choisi l’exil. Certains ont dû leur salut à l’aide discrète de leurs confrères étrangers ou/et de chancelleries compréhensives. Couvrir les évènements se déroulant au Burundi est même devenu dangereux pour les médias étrangers qui ne sont plus les bienvenus (le correspondant burundais de Radio France Internationale a été tabassé par les services de sécurité en 2015 et deux journalistes travaillant pour le quotidien français Le Monde ont été arrêtés et expulsés en février 2016). Refusant d’être réduits au silence par le pouvoir, des journalistes burundais en exil se sont engagés dans un journalisme de résistance en continuant à faire leur travail de l’étranger. Ils ont bénéficié du soutien de certains bailleurs et de la solidarité professionnelle de structures étrangères pour obtenir temps d’antenne, moyens de survie et outils de travail. Aujourd’hui ce journalisme de résistance est multiforme : outre l’information factuelle diffusée par le collectif SOS Medias Burundi, certains journalistes burundais ont créé des programmes diffusés en ligne (Humura et Inzamba par exemple) et d’autres ont des partenariats avec des radios hôtes leur fournissant la structure technique nécessaire à l’exercice de leur profession. Cette solidarité professionnelle n’est pas sans risque comme l’a prouvé en octobre 2015 l’arrestation par les services de renseignement congolais d’un journaliste burundais et de deux collègues congolais travaillant pour une radio congolaise de la ville d’Uvira (Le messager du peuple) dans la province du Sud-Kivu. Cette radio amie diffusait un magazine politique burundais produit par la RPA, la bête noire du régime burundais.

Des journalistes burundais en exil se sont engagés dans un journalisme de résistance en continuant à faire leur travail de l’étranger.

Alors que durant le second mandat du président Nkurunziza la bataille médiatique entre le pouvoir et l’opposition se déroulait dans l’espace radiophonique, elle s’est déplacée depuis la crise vers les médias en ligne. Tandis que Inzamba et Humura expriment le point de vue de l’opposition, Burundi 24 et Ikiriho expriment les positions du pouvoir. Alors que le journal Iwacu tente de survivre sans son rédacteur en chef désormais en Belgique et dans des conditions financières précaires (une campagne de crowdfunding vient d’être lancée) et que la radio Isanganiro est en liberté surveillée, le paysage médiatique est réduit à sa plus simple expression : des radios confessionnelles et commerciales ne faisant ni journalisme d’opinion ni journalisme d’investigation. Du coup, au classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, le Burundi est passé de la 108ème place (sur 173) en 2010 à la 145ème place (sur 180) en 2015.

Les réseaux sociaux : médias de crise, médias de guerre

Le silence forcé des principales radios du pays depuis un an a aussi ouvert une nouvelle ère de l’information au Burundi. WhatsApp, Facebook, Twitter et de simples SMS, qui véhiculent des informations tirées des réseaux sociaux ou transmettent des enregistrements directement captés par téléphone portable, sont devenus les nouveaux médias pour le meilleur et pour le pire. Le blackout informationnel qu’a voulu imposer le pouvoir s’est vite révélé impossible : le téléphone portable a maintenant remplacé la radio comme principal vecteur médiatique au Burundi. Contrairement aux radios, cet outil n’est pas remis en cause par le pouvoir qui a trop besoin de la téléphonie mobile et de ses recettes pour l’interdire.

Au classement de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, le Burundi est passé de la 108ème place à la 145ème place …

Les réseaux sociaux accessibles par téléphone portable sont devenus indispensables à la vie quotidienne. Ils font partie du système de protection de chaque Burundais : ils permettent, par exemple, de se prévenir des dangers et des risques dans les quartiers sensibles de la capitale en temps réel (où et quand la police fait une descente, où et quand une grenade explose, etc.). Ils permettent aussi de relayer l’information sur les personnes arrêtées, enlevées ou disparues pour informer leurs familles et les organisations pouvant les aider. Ils sont aussi utilisés pour tirer la sonnette d’alarme. Ainsi lors de la répression contre les manifestants anti-troisième mandat en 2015, les images qui circulaient sur les réseaux sociaux et montraient les exactions de la police (manifestants battus, policiers tirant à balles réelles sur des civils désarmés, etc.) ont permis d’alerter l’opinion publique internationale. Des organisations comme SOS Medias Burundi qui relaient les incidents sécuritaires font circuler leurs informations essentiellement par les réseaux sociaux.

WhatsApp, Twitter et Facebook sont aujourd’hui les principaux champs de bataille dans la guerre de communication que se livrent le pouvoir et l’opposition.

Ils permettent aussi de maintenir la communication entre des mondes de plus en plus éloignés (ceux de la diaspora et des camps de réfugiés, ceux de la capitale et du monde rural). Ainsi les violences qui se déroulent à Bujumbura sont relayées en province et vice-versa. Les réseaux sociaux sont enfin d’excellents outils de propagande et les amplificateurs de toutes les rumeurs du pays. Les discours et entretiens des politiciens toutes tendances confondues circulent de téléphone en téléphone et les rumeurs les plus folles sont instantanément transmises à des milliers de personnes : « le Burundi s’apprêterait à attaquer le Rwanda ou inversement », « la famille Nkurunziza a fui le pays », « dans telle ou telle localité, les Tutsi ont été exterminés », etc. Mais les réseaux sociaux ne sont que des vecteurs : ils véhiculent l’information au même titre que la rumeur et la pire propagande, et il devient difficile de faire la différence entre ces trois catégories de discours. Avec les réseaux sociaux, l’information n’est pas vérifiée, elle est souvent livrée brute, en temps réel et sans recul. Au pire, l’information se confond avec la rumeur, voire se transforme en son contraire : la désinformation. Depuis la réduction de l’espace radiophonique, WhatsApp, Twitter et Facebook sont aujourd’hui les principaux champs de bataille dans la guerre de communication que se livrent le pouvoir et l’opposition.

Conclusion

L’émergence de nouveaux médias de crise ne signifie pas qu’il faille renoncer au journalisme traditionnel. Tout en s’adaptant à la situation actuelle et en utilisant les nouvelles technologies de l’information, les journalistes burundais cherchent avant tout à restaurer un journalisme professionnel dans leur pays. A ce titre, la rencontre ayant eu lieu à Bruxelles en mars entre Karenga Ramadhani, le nouveau président du Conseil national de la communication (CNC) burundais, et les médias interdits est une première étape vers une décrispation. Les mandats d’arrêt contre certains journalistes ont été levés, des engagements ont été pris de part et d’autre et du respect de ces promesses dépend le début de la restauration d’un espace de débat public au Burundi. Reste à savoir si la volonté du président du CNC de normaliser la situation se concrétisera ou s’il s’agit d’une nouvelle manœuvre dilatoire.

Thierry Vircoulon

Source : International Crisis Goup 

Langues: 
Genre journalistique: 

Partager