mai
19
2022

Projet de loi sur les confessions religieuses : les concernés veulent avoir leur mot à dire

L’exigence du niveau d’étude pour les dirigeants, la traçabilité des fonds venus de l’extérieur, autoriser les organes publics d’organiser les élections quand les organes dirigeants refusent de les organiser, … Face à ces innovations, les responsables des confessions religieuses interrogées aimeraient donner leur contribution.

« Cela s’appelle ingérence ! En quoi le niveau d’étude vient faire dans la religion ? », se demande J.P.N, un chrétien de Musaga qui a suivi le compte-rendu du secrétaire du gouvernement sur le Conseil des ministres du 4 mai.
Pour lui, être un serviteur de Dieu n’exige pas des études plus élevées, c’est une vocation. « Peut-être ceux qui en ont besoin, ce sont ces pasteurs qui mélangent la religion et la politique ».

Pour E.N., un chrétien habitant à Kamenge, ce ne sont pas ceux qui ont fait des études qui pourront résoudre les litiges au niveau des églises. « Eux aussi peuvent être en conflit. La solution est de suivre la voie de Dieu. »
Et, renchérit, E.N, la bonne gouvernance dépend de l’humanité d’une personne, pas de son niveau d’étude. Et de se demander : « Les conflits politiques ne naissent pas entre des personnes qui ont fait de longues études ?»

Néanmoins, pour d’autres chrétiens comme F.B., habitant à Gasekebuye, les pasteurs devraient faire des études universitaires pour pouvoir bien comprendre et interpréter la Bible qui est un livre où on trouve plusieurs interrogations. « Espérons que le projet est conçu pour l’intérêt général et non pour les intérêts du ministre. Sinon, cela va créer d’autres polémiques, d’autres problèmes », ajoute M.N, un autre chrétien.

Le Conseil National des Églises du Burundi (CNEB) critique d’emblée la motivation d’un projet qui met toutes les Eglises dans un même paquet. Révérend Sylvestre Bizimana, secrétaire général du CNEB regrette que la motivation principale du projet portant modification de la loi n°1/35 du 31 décembre 2014 portant cadre organique des confessions religieuses, soit les conflits et les affrontements entre fidèles.
« Sur les 651 Églises qui existent au Burundi selon le dernier recensement, ceux qui ont des problèmes ne sont pas très nombreux », laisse-t-il entendre.

Il considère que l’esprit d’une loi ne peut pas être guidé par des exceptions. Si une seule église, une paroisse a des problèmes, explique Révérend Sylvestre Bizimana, on ne peut pas généraliser son cas sur toutes les églises du Burundi.
Il trouve plutôt que des enquêtes doivent être faites pour trouver les vraies causes des conflits et affrontements entre les fidèles de certaines églises. « Nous voulons de vrais chiffres obtenus à l’aide d’un échantillon représentatif ».
Pour Sylvestre Bizimana par ailleurs, les églises ne sont pas à l’origine des problèmes, elles sont par contre une origine des solutions. Bien qu’il y a ici et là des églises qui ont des problèmes à résoudre. Bizimana constate qu’en général les églises sont calmes et sereines.

« Que la loi ne soit pas rétrograde »

Dans le souci de trouver une solution durable au fonctionnement des Églises, le Conseil des ministres apporte des innovations à la loi en vigueur qui date de 2014.
Il y a notamment l’exigence d’un certain niveau d’étude élevé jusqu’au niveau baccalauréat pour les dirigeants des confessions religieuses et des mouvements religieux.

Le Conseil national des Églises du Burundi semble moins inquiété. «Ceux qui ont fait des études, nous en avons. » Néanmoins, il fait savoir qu’il y a des anciens dirigeants, expérimentés qui ont bâti des églises.
Pour ces derniers, le secrétaire général de CNEB espère que la loi ne sera pas rétrograde pour ôter les droits aux aînés qui sont respectés pour ce qu’ils ont fait de leurs églises. « Cette exigence va concerner ceux qui seront élus après l’adoption de la nouvelle loi ».

Une autre innovation proposée par le Conseil des ministres qui préoccupe les confessions religieuses et celle d’exigence de la traçabilité des fonds en provenance des pays étrangers destinées aux financements des confessions religieuses.
« Il n’y a pas encore des études qui montrent que ces finances sont l’origine du désordre dans les églises », rétorque le secrétaire général du CNEB.

Pour lui, les conclusions du Conseil des ministres ne se basent pas sur une étude. Pour Sylvestre Bizimana, les causes peuvent être liées à d’autres situations qui prévalent dans le pays.
Prévoir une disposition qui autorise les pouvoirs publics d’organiser les élections lorsque les organes dirigeants des confessions refusent de les organiser à la fin de leur mandant est autre chose qui gêne le CNEB.

Cela aurait plusieurs conséquences. « Le ministère ne connaît pas les caractères des membres des églises, ils risquent de mettre une église dans les mains des gens qui pourraient créer plus de problèmes », avertit le secrétaire général du CNEB. Il propose plutôt de penser à d’autres solutions initiées par les membres des églises en conflit sous la surveillance du ministère en charge des églises.
Il propose également au ministère chargé de l’Intérieur de donner une occasion aux confessions religieuses pour donner leurs points de vue sur le projet notamment le mandant de 5 ans renouvelables des organes dirigeants. « Cela nécessite un débat parce que cela dépend de comment l’église est organisée. Nous demandons une occasion de nous exprimer pour avoir une loi fondée sur des réalités ».

Le projet de loi prévoyant l’autorisation des fidèles d’appartenir à plusieurs confessions religieuses, Révérend Sylvestre Bizimana est formel : « C’est difficilement applicable. Les Saintes Écritures ne le permettent pas. Personne ne peut avoir plusieurs croyances à la fois et suivre plusieurs bergers ».

Soif de contribuer au projet
Bishop Laurent Nduwimana, responsable de « Evangelical Pentecostal Church » au Burundi et secrétaire général du Réseau des Églises Chrétiennes pour la Paix et la Réconciliation au Burundi (RECPRBU), lui, regrette que le projet de loi sur les confessions religieuses soit adopté au niveau du conseil des ministres sans que les concernés aient un mot à dire. « Nous n’avons pas eu l’occasion de donner notre contribution ».
D’après, lui, la seule voie pour éviter les problèmes des Églises est de faire respecter le règlement d’ordre intérieur et d’autres lois par le ministère en charge des églises.

Dans la résolution des problèmes qui surgissent au niveau des confessions religieuses, affirme Bishop Nduwimana, le ministre en charge de l’intérieur traîne les pieds. « Il y a des litiges qui passent plus de 10 sans que le ministère prenne une décision ».

Il estime que le ministère de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique devrait se mettre ensemble avec les responsables des confessions religieuses pour réfléchir ensemble sur les réponses adéquates aux questions qui se posent au niveau des Eglises.

Il souhaite que la nouvelle loi quand elle sera adoptée ne concerne pas les anciens pasteurs qui n’ont pas pu avoir des diplômes à cause de l’histoire douloureuse du pays alors qu’ils ont de l’expérience et des compétences. «Nous demandons également que les diplômes en théologie aient des équivalences comme cela se fait dans d’autres pays », réclame-t-il.

En ce qui est d’autoriser les organes publics d’organiser les élections des confessions religieuses, il met en garde : « Celui qui a des amis au ministère pourra créer des problèmes quand bien même il ne serait pas un choix des fidèles ».
Pour lui, les fidèles d’une Eglise doivent organiser eux-mêmes les élections. Car, explique ce secrétaire général du RECPRBU, la Constitution du Burundi autorise les églises à choisir leurs dirigeants selon les principes de démocratie et de bonne gouvernance. « Si le ministère vient organiser les élections, c’est une ingérence ».

D’après lui, les règlements d’ordre intérieur, les statuts prévoient comment les élections sont organisées en périodes ordinaires ou extraordinaires. « Le rapport est envoyé au ministère et le ministre prend acte. » Laurent Nduwimana juge que le rôle du ministère en charge de l’intérieur est de suivre que l’élection respecte la loi dans son organisation.

Comme les confessions religieuses sont non seulement fondées sur les textes juridiques, mais aussi sur les écritures saintes, ces responsables d’Eglises demandent avec instance que leurs avis soient considérés dans la mise en place du Projet de loi portant modification de la loi n°1/35 du 31 décembre 2014 portant cadre organique des confessions religieuses.

Pour rappel, le projet a été présenté par le ministre de l’Intérieur, du Développement Communautaire et de la Sécurité publique dans le Conseil des ministres qui s’est réuni mercredi 4 mai 2022, à Gitega. Le conseil a regretté que certaines églises deviennent des terrains de conflit et d’affrontement entre fidèles.

Quelques principales innovations apportées à la loi en vigueur :
– L’exigence d’un certain niveau d’étude élevé jusqu’au niveau baccalauréat pour les dirigeants des confessions religieuses et des mouvements religieux.
– L’exigence, pour les confessions religieuses qui fonctionnent sous le régime réglementaire des églises-mères étrangères, de conclure un accord-cadre avec le Gouvernement du Burundi.
– L’exigence de la traçabilité des fonds en provenance des pays étrangers destinés au financement des confessions religieuses.
– Préciser que le mandat des organes dirigeants est de 5 ans renouvelables.
– Au lieu d’interdire un fidèle à appartenir à plusieurs confessions religieuses, interdire plutôt à un fidèle d’appartenir aux organes dirigeants de plus d’une confession religieuse.
– Prévoir une disposition qui autorise les pouvoirs publics d’organiser les élections lorsque les organes dirigeants des confessions religieuses refusent d’organiser les élections à la fin de leur mandat.
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