mar
07
2017

Sud du Burundi : des Imbonerakure accusés d’actes d’intimidation

Les habitants des provinces Rutana et Makamba accusent les jeunes affiliés au Cndd-Fdd d’intimidations et de mauvais traitements à leur encontre. Ils fustigent le laxisme des autorités policières et administratives.

Au chef-lieu de la province Rutana, la population vaque à ses occupations quotidiennes en cette fin du mois de février, malgré l’orage qui annonce une pluie imminente. Au parking des bus et autres voitures qui desservent la province, grouille du monde.

Il est 11h, mais les bistrots, le long de la route qui mène au centre-ville, sont déjà ouverts et certains clients, bière à la main, passent leurs commandes.

Une réalité se cache toutefois derrière cette apparence d’une ville paisible : les Imbonerakure y font la pluie et le beau temps. Selon des habitants de Rutana, ces jeunes militants du parti au pouvoir patrouillent la nuit, arrêtent les gens et les dépouillent de leurs biens. « Ceux qui s’y opposent sont tabassés. »

Nos sources indiquent que les cas les plus récents sont le passage à tabac de deux personnes, il y a deux semaines, au chef-lieu de la province Rutana : « Un enseignant du nom de Kibiri a été battu par un groupe d’Imbonerakure en patrouille, alors qu’il rentrait chez lui le soir. Ils l’ont grièvement blessé. »

«Dernièrement ils ont tabassé un jeune. Ils l’accusaient de prendre des photos alors qu’il était en train d’écrire un SMS. La veille, un groupe d’Imbonerakure en patrouille avait roué de coups un jeune professeur de lycée. C’est terrible !», renchérit un quinquagénaire.

Evrard Mugisha, étudiant à l’Université des Grands Lacs, campus Rutana, soutiennent d’autres sources contactées, a été tabassé samedi 11 février lors d’un entraînement de ces jeunes du parti au pouvoir.



Des entraînements bien préparés

Ce jeune homme fut arraché, rapportent nos sources, des griffes de ses agresseurs par la garde policière d’un député de Rutana. « N’eût été l’intervention de ce député, ce jeune aurait été battu à mort. Ils étaient chauffés à blanc. »

Pour ces habitants, ces sports sont bien encadrés et bien préparés car ils ont lieu tous les week-ends à la même heure. «Les samedis, ils se réveillent à 3h du matin et ils commencent à siffler pour le rassemblement», confie Jean-Marie, un habitant du chef-lieu de la province Rutana.

Lorsqu’ils sifflent, indique notre source, les habitants se cachent dans leurs maisons. « La peur nous envahit car nous ne savons pas ce qui peut se passer à tout moment. »

D’après les témoignages recueillis, ces Imbonerakure se rassemblent dans un même endroit et commencent à faire des exercices avant de courir dans les rues de la ville. «Ils sont une centaine et tous ont des gourdins. Gare aux militants des autres partis politiques qui ont le malheur de les croiser», raconte Pierre, un habitant de Karindo.

Des chansons qui font peur

Les paroles des chansons entonnées par ces Imbonerakure, lors de leurs entraînements, font peur aux habitants de la province Rutana. «Ils intimident les opposants politiques en leur disant qu’ils n’ont pas de place au Burundi, qu’ils ont plutôt intérêt à partir au Rwanda», témoigne Charles, la cinquantaine. «Cela nous fait très peur car nous n’étions pas habitués à ce genre de démonstration. Cela n’augure rien de bon», confie une mère, apeurée.

Ce qui est nouveau, ces derniers jours, au chef-lieu de la province, racontent les habitants, c’est que les Imbonerakure se permettent de fermer les cabarets pendant leurs patrouilles nocturnes. «Parfois, des échauffourées éclatent avec les cabaretiers. Il y a quelques jours, une bagarre a éclaté entre des Imbonerakure et des clients à Birongozi.»

D’après eux, c’est encore pire dans les autres communes, surtout à Giharo, Gitanga ou Musongati où ces jeunes du parti de l’aigle font la pluie et le beau temps. «Ce qui nous met en colère, c’est que cela est fait au vu et au su des autorités administratives et policières», s’indignent les habitants. Pour eux, cela montre que l’administration cautionne ces exactions.

Makamba n’est pas en reste

Ces exercices paramilitaires sont aussi signalés en province Makamba. «Ça se déroule tous les samedis», témoignent les habitants du chef-lieu de Makamba. Samedi dernier, une quarantaine de jeunes ont circulé dans plusieurs quartiers en entonnant des chansons qui menacent les opposants. «Nous avons l’habitude de ces intimidations», indiquent les militants des partis de l’opposition. Cependant, ils affirment qu’ils ne peuvent plus circuler dans la rue au moment de ces exercices. «Heureusement, ils ne portent plus de gourdins grâce aux cris des activistes de la société civile.»

Comme en province Rutana, des cas de torture de la part d’Imbonerakure sont signalés. Les habitants de la commune Kibago rapportent le cas d’un certain Jean Claude Ndikumasabo, qui aurait été torturé par des Imbonerakure sur la colline Rubimba, au début du mois de février. «Certaines victimes préfèrent se taire de peur d’être tuées», confie Nicodème, la soixantaine.

D’après les témoignages, des cas de torture, d’intimidation et de vol sont signalés dans toutes les communes de la province Makamba et, selon eux, la commune Kayogoro vient en première position. Là aussi, les habitants déplorent le comportement des autorités qui «ne font rien pour les protéger.»

Des mensonges et de fausses informations

 

Gad Niyukuri, gouverneur de Makamba, balaie du revers de la main toutes ces accusations : « Je n’ai jamais vu ou entendu des Imbonerakure faire du sport ou entonner des chansons pour intimider qui que ce soit. » Et de s’étonner que toute bagarre soit liée aux Imbonerakure : « Est-ce qu’avant l’arrivée du Cndd-fdd au pouvoir, il n’y avait pas de bagarre au Burundi ? »

D’après lui, ceux qui accusent ces jeunes du Cndd-fdd sont ceux-là même qui, à une certaine période, ont lancé des rumeurs d’entraînements militaires des Imbonerakure à Kiliba-Ondes. « Vous avez vu qu’il s’agissait de mensonges. »

Toutefois, M. Niyukuri reconnaît que ces jeunes entonnent des chants pacifiques dans le cadre des travaux communautaires ou de développement organisés les samedis à Makamba. « C’est pour s’encourager mutuellement. Ils portent souvent des bèches et des houes et jamais des machettes ou bien des gourdins. Est-ce un crime ? »

Et d’appeler les opposants à stopper la manipulation et la propagation de fausses informations : «Ils ont échoué en 2015 avec leur tentative de putsch et, depuis, ils dénigrent systématiquement toutes les actions de l’administration.

Et pour cela, ils s’en prennent aux Imbonerakure. »

Même son de cloche du côté de Zachée Misago, administrateur communal de Kayogoro. D’après lui, il n’y a jamais d’entraînements d’Imbonerakure dans sa commune. « Seuls des commerçants, accompagnés de leurs fils, font du sport les week-ends. »

Pour lui, ce ne sont que des mensonges véhiculés par les opposants en perte de vitesse sur le terrain. « Nous ne les voyons même plus. Presque tout le monde a adhéré au parti au pouvoir. Je me demande alors pourquoi ces jeunes se battraient entre eux. »

Contacté Bede Nyandwi, gouverneur de Rutana, nous a dit dans un premier temps qu’il n’était pas au courant de ces entraînements des jeunes du parti au pouvoir, tout en reconnaissant avoir appris le cas de l’étudiant tabassé. Il nous avait promis de nous donner plus de précisions ultérieurement. Toutefois, lorsque nous l’avons recontacté, son téléphone sonnait occupé.

Interrogée, Denise Bahendubone, administrateur communal de Giharo, nous a rétorqués sèchement qu’elle n’était pas au courant de ces informations avant d’affirmer, sans plus de détails, qu’elles étaient tout simplement fausses.

Côté forces de l’ordre, des sources policières à Rutana et Makamba disent ne pas être au courant de ces actes d’intimidation et de passage à tabac de la population par les Imbonerakure. Néanmoins, ces sources reconnaissent que ces entraînements se sont intensifiés, ces derniers temps, dans le sud du pays.

Iwacu a contacté, sans succès, Pierre Nkurikiye, porte-parole de la police, pour plus de précisions.

 «Intimider les opposants ne résoudra pas la crise»

Anschaire Nikoyagize, un des activistes burundais des droits humains, fait savoir qu’ils sont au courant de ces cas d’intimidation et de torture perpétrés par les Imbonerakure. « C’est un phénomène qui se passe dans tout le pays.»

Pour lui, les dirigeants actuels rendent un mauvais service aux jeunes générations. «Même si la crise se termine, le pays restera dans la phase de rééducation de ces jeunes au lieu d’enclencher la phase de développement. C’est dommage car nous vivons dans cette situation depuis 1993.» D’après cet activiste, le pouvoir aura du mal à l’avenir à contrôler les Imbonerakure. «Intimider les opposants n’est pas la solution pour résoudre cette crise. Il faut plutôt des discussions franches », conclut-il.

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