Jan
25
2016

Un troisième mandat pour Joseph Kabila ? Les scénarios possibles.

Le 14 décembre 2015, Joseph Kabila s’est livré, pour la neuvième fois consécutive, à l’exercice constitutionnel de présentation de l’Etat général de la Nation dans un discours lu devant les députés et sénateurs réunis en congrès. Cette allocution a été faite à la veille de la clôture de la session budgétaire prévue le 15 décembre 2015. Elle a par ailleurs été prononcée dans un contexte politique tout aussi particulier, marqué par le double débat sur le dialogue politique et l’éventualité d’un troisième mandat pour le Président Kabila qui, constitutionnellement et mathématiquement parlant, en était à son dernier discours sur l’Etat de nation ; sauf évidemment probabilité de « glissement » (infra). L’ambition de la présente réflexion est principalement d’essayer de comprendre le discours du 14 décembre dernier essentiellement sous son volet politique. Une telle ambition se décline sur trois étapes essentielles à savoir le moment, le contenu et les conséquences du discours notamment sur les élections projetées en RDC en 2016.

Le moment : un discours prononcé in extremis ?

La constitution de la République Démocratique du Congo (RDC) fait obligation au chef de l’Etat de prononcer « une fois l'an, devant l'Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès, un discours sur l'état de la Nation », sans en prescrire le moment exact du prononcé. A cet effet, l’apport de la coutume constitutionnelle de la troisième République dans l’opérationnalisation de cette obligation constitutionnelle s’avère on ne peut plus considérable à deux points de vue : dans la définition du moment et dans l’encadrement de la modalité du prononcé du discours sur l’Etat.

S’agissant de la définition du moment du discours sur l’Etat de la Nation, il se dégage d’une telle coutume que ce discours est appelé à intervenir au cours de la session parlementaire de septembre, dite session budgétaire, qui, chronologiquement parlant, va du 15 septembre au 15 décembre. Il est par ailleurs difficilement envisageable qu’un tel discours intervint en session extraordinaire. Ainsi, en prononçant son discours le 14 décembre 2015, l’on est donc fondé à conclure que le Président congolais était, juridiquement parlant, en harmonie avec la Constitution et la coutume construite autour d’elle depuis plus de neuf ans. Toutefois, la légalité du discours ne saurait occulter les interrogations sur son opportunité à quelques heures de la clôture de la session parlementaire ordinaire.Pourquoi seulement le 14 décembre 2015 ? A première vue, la question pourrait paraitre banale étant entendu qu’elle appellerait également en retour une contre-question : Pourquoi pas le 14 décembre ? Mais dans le fond, la question n’est pas dénuée de toute pertinenceeu égard notamment à la saga politico-juridiquequi prévaut actuellement en RDC, autour de la tenue ou non du fameux dialogue politique, promis par Joseph Kabila depuis plus de six mois. En effet, ayant fait de la tenue dudit dialogue la promesse politique phare pour l’année 2015, Joseph Kabila était quasiment condamné à se présenter devant les élus, et au-delà, devant le peuple congolais, avec un résultat, sous peine de donner l’impression d’avoir failli à sa promesse. La tenue du dialogue apparaissait en quelque sortecomme l’un des préalables au prononcé du discours. Mais le fameux dialogue devenait de plus en plus insaisissable à chaque fois que l’on avait pourtant l’impression d’en être tout près. Si ce n’était pas la question de la participation qui divisait, il fallait rechercher cette division dans l’agenda même dudit dialogue. D’où la fameuse paire de questionnement « avec qui dialoguer et pourquoi dialoguer ».

Dans le premier cas, il s’est dégagé une fracture entre la majorité, soutenant tout naturellement l’idée du dialogue, et l’opposition qui la rejetait quasi-farouchement. Une autre cassure s’est fait observer au sein même de l’opposition entre ceux qui ont fini par « mordre à l’hameçon » en adhérant à l’idée du dialogue, l’UDPS en tête, et ceux qui sont restés constants dans leur position, allant jusqu’à constituer « un front anti dialogue ». Si l’adhésion de l’UDPS au camp des pros dialogue est apparue, pendant un laps de temps, comme un grand motif de soulagement pour la Majorité présidentielle, les querelles de leadership tant au sein de la famille biologique que politique du Président Tshisekedi, les caprices de « cette fille-ainée » de l’opposition congolaise (UDPS), lesquelles caprices sont constamment exprimées par la multiplication et le renouvellement des cahiers de charges pour sa participation, ont aussi constitué l’un de grands blocages au démarrage dudit dialogue. A cet effet, le critère d’inclusivité voulu par l’initiateur du dialogue, Monsieur Joseph Kabila, devenait de plus en plus difficile à atteindre.

Dans le second cas, le chef de l’Etat a difficile à fédérer toute classe politique et la société civile autour d’un agenda précis du dialogue. Officiellement présenté par la Majorité comme un cadre politique susceptible de désamorcer le processus électoral en panne depuis octobre 2015, le dialogue était perçu dans le camp d’en face comme un cadre de légitimation d’une éventuelle transition politique ou d’un glissement du mandat présidentiel au profit du Président en exercice.A ce sujet, la sortie la plus spectaculaire, et la plus fracassante peut-être, fut celle de la Conférence Episcopale du Congo (CENCO) (infra) qui tracé une sorte de rubicon à ne pas franchir par les uns et les autres. Dans un tel contexte, le chef de l’Etat congolais n’avait d’autre choix que de prononcer, bon gré malgré, un discours dont le contenu se démarquait ostensiblement du rêve qu’il caressait depuis quelques mois à savoir un discours sur le modèle de celui prononcé le 23 octobre 2013 à l’issue des « Concertations nationales » et qui rendait compte à la Nation des grandes conclusions des dites Concertations. Joseph Kabila y aura donc cru jusqu’à la veille de la clôture de la session de septembre, mais c’était hélas sans compter sur « la capacité perturbatrice » de l’opposition congolaise. Il fallait donc soit continuer attendre un dialogue qui ne démarrait pas soit se conformer à la Constitution. Et entre les deux cas, le choix était clair.

Le contenu : les deux temps du discours

Le discours du 14 décembre 2015 a été caractérisé par deux tons qui concrétisent également les deux temps du discours. Dans le premier temps, le Chef de l’Etat congolais, au ton rassembleur, a présenté le tableau général de la situation de la Nationdans les secteurs de lasécurité, de l’économie, du transport, de l’agriculture, de la santé, de l’enseignement, de l’approvisionnement en eau et électricité, des droits humains, de la diplomatie, de l’environnement et de la réforme de l’Etat, en se félicitant chaque fois des performances réalisées, en appelant à beaucoup plus d’efforts dans la conservation des acquis et en promettant beaucoup plus de réalisations dans un futur aussi bien lointain que proche. Ce premier temps du discours semble s’inscrire dans la droite ligne  de l’agenda actuel du chef de l’Etat congolais. Cet agenda se caractérise ces derniers jours, au plan des infrastructures notamment, par l’inauguration d’une série des réalisations à travers la République, et cela peu importe que les financements desdites réalisations aient eu pour provenance le gouvernement central, les gouvernements provinciaux ou les partenaires externes et privés. Peu importe également que certaines de ces réalisations aient déjà fait l’objet d’inauguration par le passé. La visibilité du Chef de l’Etat sur le terrain est particulièrement trop poussée ces derniers temps au point de faire penser parfois à une anticipation de la campagne électorale. Ainsi,ce premier temps semble-t-il avoir conféré à l’allocution du Président Kabila à la fois des allures d’un discours-bilan, un discours programme voire un discours de campagne et, assez paradoxalement,beaucoup moins les allures d’un discours d’adieu.

Dans le deuxième temps, correspondant à la présentation de la situation politique, le ton rassembleur du Chef de l’Etat congolais a très vite glissé vers un autre ton plus menaçant. En effet, après s’être félicité à la fois « de la mise en place de la nouvelle équipe de la CENI » (résultant du reste de fortes turbulences observées récemment au sein de la Majorité présidentielle) et de « la mise en place, en cours, du Comité Préparatoire, et celle prochaine de la facilitation internationale » du dialogue politique projeté, le Président Kabila a émis deux mises en garde importantes, et pour le moins « inquiétantes » aux yeux de l’opposition, de la société civile et peut-être de la communauté internationale. Dans la première mise en garde, Joseph Kabila avertit : « ce n’est pas par la violence que nous régleront nos divergences. Ce n’est pas non plus des Nations Unies, de l’Orient ou de l’Occident que viendront les solutions à nos problèmes. Mais plutôt de nous-mêmes, et par le dialogue entre des Congolaises et des Congolaise, mus par la fibre patriotique, et inspirés par l’appel à l’auto-détermination et à l’auto-prise en charge ». Cette mise en garde constitue en partie une réponse à une frange de l’opposition qui conditionne sa participation au dialogue par la désignation d’un facilitateur international sensé offrir beaucoup plus des garanties de neutralité et impartialité. On constate toutefois que tout en donnant l’impression d’exclure un tel scénario dans la recherche des « solutions à nos problèmes », le Président congolais envisage, assez paradoxalement, la mise en place de la « facilitation internationale » afin de mener le dialogue à bon port. Ce qui frise une certaine contradiction. Par ailleurs, la mise en garde du chef de l’Etat est encore plus perceptible dans ce qu’il conviendrait de nommer la « seconde menace » : « j’aimerais, à cet effet, rassurer l’ensemble de notre peuple que je ne permettrai pas que les sacrifices consentis ensembles au cours de ces dernières années pour bâtir la paix et la sécurité dans notre pays et dans la région, balisant ainsi la voie vers l’émergence, soient compromis, sous quelque prétexte que ce soit, par ceux qui de mauvaise foi et de manière délibérée, choisiront de rester enfermés dans leur  postures négatives, refusant le dialogue au profit des complots contre la République et promettant sang et sueur à notre peuple ». Mais qui donc a suscité le courroux du prince ? Pourquoi un tel changement si brusque dans le langage et le ton du Chef de l’Etat ?

Deux éléments peuvent permettre de construire des hypothèses à ce questionnement : l’attitude de la CENCO d’un côté et celle de l’opposition et la société civile, du moins la majorité d’entre elles, de l’autre. En effet, après avoir adhéré au principe du dialogue en rappelant que ce dernier constitue «une voie royale et pacifique de sortie de crise et un élément constructif de tout système démocratique », la CENCO a revêtu une véritable posture de gardienne de la Constitution et de ces institutions en martelantnotamment que« ni dans son déroulement, ni dans ses conclusions et recommandations, le dialogue ne peut énerver directement ou indirectement la lettre et l’esprit de la Constitution de la République ni ignorer les institutions républicaines prévues par elle ». Cela implique notamment, renchérit la CENCO, que «  toutes les parties s’engagent à respecter la Constitution et les Institutions de la République ; aucune transition ne soit organisée, car contraire à la Constitution ; aucune institution extraordinaire ne soit créée ; les délais constitutionnels concernant l’organisation des scrutins soient respectés ».Consécutivement à cela, la CENCO a par ailleurs appelé  le peuple à faire usage de l’article 64 de la Constitutionqui habilite tout congolais à « faire échec à tout individu ou groupe d'individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l'exerce en violation des dispositions » de la Constitution. Presque parallèlement, une délégation de l’opposition et de la société civile congolaises, réunie au Sénégal au courant du mois de décembre, a formé une plateforme politique destinéeà former un rempart contre des velléités révisionnistes ou de conservation de pouvoir en RDC au-delà de 2016.

Face à cette « déclaration de guerre » (André-Alain Atundu, décembre 2015) émanant notamment de la CENCO et la société civile, le Président Kabila semble avoir jugé utile d’emprunter un ton non moins menaçantque celui utilisé quelques jours plutôt par le Procureur général de la République. Ce dernier, s’érigeant quasiment en juge constitutionnel, a fait sa propre interprétation du prescrit de l’article 64 pré évoquée en mettant en garde quiconque déstabiliserait les institutions de la République. Ce durcissement de ton dans le camp du pouvoir pourrait aussi être révélateur du caractère gênant de la question du respect des délais constitutionnels pour les échéances électorales de 2016, et de façon générale, de celle d’un probable troisième mandat au profit du Président Joseph Kabila.

Les scénarios possibles d’un troisième mandat pour le Président Kabila

Tel que relevé plus haut, le discours du Président Kabila n’a pas permis de dissiper le doute qui plane sur son départ de la présidence de la RDC en 2016. Le contexte politique régional, marqué par des tripatouillages constitutionnels à cette fin, n’est pas non plus de nature à dissuader le jeune chef de l’Etat qui, à la faveur du positionnement des prochaines élections présidentielles congolaises dans l’agenda des scrutins sous régionaux, semble avoir l’avantage d’observer, tirer des leçons voire s’inspirer carrément des expériences des homologues voisins. Ainsi, tirant justement les leçons de ces dernières expériences,qu’il sied par ailleurs de combiner avec ce qui apparaitrait comme l’originalitéde la RDC, quatre scénarios de conservation de pouvoir par le président en exercice, Joseph Kabila, seraient envisageables pour la RDC.Il s’agit de :

   * La reproduction du scénario burundais ou le troisième mandat par interprétation

   * La reproduction du scénario congolais ou le troisième mandat par consultations présidentielles

   * La reproduction du scénario rwandais ou le troisième mandat par initiative populaire

   * La diversion.

Ces scénarios ont pour la plupart un défi majeur à relever : celui de la révisabilité des dispositions dites intangibles ou supraconstitutionnelles.

Le scénario burundais ou le troisième mandat par interprétation

Pierre Nkurunziza a été le premier des Chefs d’Etat de la Région à ouvrir le bal de ce que d’aucuns qualifieraient de tripatouillages constitutionnels pour un troisième mandat. En effet, ayant réussi à exploiter l’ambigüité, apparente ou réelle, autour des articles 96 et 302 combinés de la Constitution relatifs aux mandats présidentiels, en l’occurrence le premier mandat (2005-2010) obtenu à la suite d’une élection au suffrage universel indirect, Pierre Nkurunziza a trouvé une alternative à la voie révisionniste en sollicitant, le 17 avril 2015, par Sénateurs interposés, un avis de la Cour constitutionnelle sur la légalité de sa candidature au-delà des deux mandats passés à la tête du Burundi. Dans sa décision, la Cour estima entre autres que « tout en affirmant que les Accords d’Arusha pour la Paix et la réconciliation doivent être respectés dans leur esprit et dans leur lettre qu’aucun Président ne peut faire plus de deux mandats, le Président qui a été élu sur base de l’article 302 de l’actuelle constitution peut renouveler une seule fois le mandat auquel il a été élu au suffrage universel direct sans violer la Constitution[2] ». Fort de cette interprétation, Pierre Nkurunziza fut réélu tant bien que mal en juillet 2015 pour un troisième mandat, malgré les pressions internes et externes, et c’est devant la Cour constitutionnelle qu’il prêta serment pour un énième mandat le 20 août 2015[3]. Cette élection plongea le pays dans une spirale des violences[4].

Quelles leçons tirer de cette expérience burundaise quant à l’hypothèse d’un troisième mandat en RDC ? A première vue, on serait tenté de dire « aucune » étant entendu que les dispositions constitutionnelles (article 70 et 220) limitatives des mandats présidentiels ne semblent souffrird’aucune ambiguïté et là où le constituant a été clair point n’est besoin d’interpréter (Cour constitutionnelle de la RDC, 14 janvier 2016).Cela a pour conséquence que contrairement au Burundi où le troisième mandat a été obtenu à la suite d’une interprétation du juge constitutionnel, l’éventualité d’un troisième mandat en RDC impliquerait nécessairement un acte matériel de révision constitutionnelle (infra). Or, non seulement le constituant congolais de 2006 a posé le principe de l’élection du président de la République au suffrage universel direct et pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois (article 70, al.1), sans instituer une quelconque dérogation à ce principe, mais aussi le même constituant a verrouillé le prescrit de l’alinéa 1er de la disposition sous examen en le rangeant parmi les dispositions dites intangibles, donc insusceptibles de révision constitutionnelle. Est-ce à dire que cette rigidité de la Constitution congolaise écarte toute hypothèse d’une éventuelle conservation du pouvoir par interprétation du juge de la Constitution, un peu à la burundaise ? La réponse est loin d’être affirmative. En effet, la précision et clarté dont peut se vanter l’alinéa 1ersus évoqué se retrouve de plus en plus écornées par des déclarations politiques qui, s’appuyant sur le prescrit de l’alinéa 2 de l’article 70 sous examen, ne sont pas sans légitimer les craintes d’un éventuel glissement du mandat présidentiel au-delà du terme constitutionnel. Ces déclarations font également le lit d’une probable sollicitation de l’interprétation de l’alinéa 2 sus évoqué. Cet alinéa dispose en effet que « A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l'installation effective du nouveau Président élu ».

La déclaration politique majeure qui semble avoir légitimé pour la première fois la crainte d’un éventuel glissement sur la base d’une interprétation « opportuniste »de l’alinéa 2 sous examen fut celle émise par le Président de l’Assemblée nationale et secrétaire générale de la Majorité présidentielle, Monsieur Aubain Minaku : « Le président de la république partira après les prochaines élections, parce que selon la constitution congolaise, une institution libère les fonctions quand il y a un autre qui a été élu de façon démocratique. Le jour où l’on organisera des élections présidentielles dans cette république et qu’elles soient gagnées par quelqu’un d’autre, celui-là remplacera Kabila. C’est clair » (A. Minaku, RFI, octobre 2013). Non seulement une telle allégation fonde la crainte du glissement (infra), mais elle semble également faire passer en filigrane l’idée d’une représentation de Joseph Kabila à la prochaine élection présidentielle, laquelle élection n’aboutirait au départ du Président en exercice que si « quelqu’un d’autre » que (le candidat) Kabila remporte l’élection. Faut-il rappeler que sur base de ce principe de continuité, du reste mal libellé par le constituant de 2006, le Sénat congolais ainsi que les Assemblées provinciales connaissent aujourd’hui un dépassement de plus de 3 ans par rapport à leur mandat respectif de 5 ans, lequel dépassement est légitimé par le simple fait que les élections pour pourvoir à leur renouvellement n’ont jamais été organisées à ce jour ?

Au-delà de l’article 70 al.2, l’interprétation pourrait être sollicitée égalementpourles délais prévus aux articles 73[5] et 74 al. 1[6], relatifs respectivement à la convocation du scrutin du chef de l’Etat trois mois avant l’expiration du mandat du président en exercice et à l’entrée en fonction du nouveau président dix jours après la proclamation des résultats définitifs. Voulant rester fidèle à sa jurisprudence, la Haute Cour congolaise pourrait, une fois saisie de la question, regarder ces délais comme de simples « prescriptions de procédure » (Cour Suprême de Justice, 2006) qui n’appellent pas au respect face aux cas « de force majeure » (Cour constitutionnelle, R.Const.0089/2015). A ce propos, une doctrine proche du pouvoir affirme : « En matière de contentieux électoral, lorsque le législateur tient au respect d’un délai, dans l’intérêt du candidat ou de la communauté (…) il prend la précaution de l’assortir d’une sanction » (E. Boshab 2013 : 182). Concrètement, puisque le constituant n’a assorti les délais prescrits aux articles 73 et 74 al.1 d’aucune sanction, ces délais devraient être considérés comme étant purement « indicatifs » et non de rigueur.A l’effet de démontrer sa thèse, l’auteur affirme : « L’autre illustration démontrant que le dépassement du délai indicatif n’emporte aucune conséquence en droit, c’est l’application de l’article 114 de la loi électorale qui dispose : Est proclamé élu président de la République le candidat ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés. Si aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue au premier tour, il est procédé à un second tour, dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats définitifs ». Ce délai de quinze jours n’a, pourtant, pas été respecté lors des élections présidentielles, et l’Assemblée n’avait pas contesté les élections présidentielles de 2006, en raison du dépassement du délai prescrit » (E. Boshab 2013 : 184-185). Cette doctrine est en parfaite harmonie intellectuelle avec la déclaration du Président de l’Assemblée nationale évoquée ci-haut et semble préparer du terrain non seulement à un glissement mais aussi à une interprétation de la Cour constitutionnelle dans ce sens.

Le scénario congolais (brazzavillois) ou le troisième mandat par consultations présidentielles

Afin d’obtenir la révision de la Constitution et la possibilité de briguer un troisième mandat, le Président Sassou Nguesso a initié, à partir de mai 2015 une série des consultations présidentielles dont le but était la réflexion « sur la vie de l’Etat et de la Nation ». Elles ont été boycottées par l’opposition qui voyait en elles une stratégie pour Sassou Nguesso de légitimer son maintien au pouvoir au-delà du mandat constitutionnel. Elles ont toutefois abouti à la tenue d’un dialogue politique dont l’une des conclusions majeures fut la révision de la Constitution, spécialement ses 57 et 58 ayant respectivement trait au mandat présidentiel septennal renouvelable une fois et à la fixation de la limite d’âge pour se porter candidat à l’élection présidentielle à 70 ans maximum. Ce qui rendait le Président en exercice, alors âgé de 72 ans, de facto de jure inéligible.  Le 25 octobre 2015, le projet de Constitution révisée a été approuvé au referendum sur fond de boycotte de l’opposition. Enfin de compte la nouvelle Constitution fut promulguée le 6 novembre 2015 et les premières élections présidentielles sous son empire sont annoncées au premier trimestre de l’année 2016. Ayant consacré le passage du septennat au quinquennat et la suppression de la « limite d’âge haute », la nouvelle Constitution ne représente plus d’obstacle au renouvellement du mandat de Dénis Sassou Nguesso.

A y voir de trop près, le modus operandi adopté par Sassou Nguesso semble correspondre assez parfaitement avec le schéma tracé jusque-là par son homologue du Congo d’en face, Joseph Kabila. En effet, le 1er juin 2015, le Président RD. Congolais débutaient ses consultations présidentielles à Kinshasa « en vue d’un dialogue politique ». Celles-ci furent largement boycottées par l’opposition « qui y voit un stratagème pour permettre au chef de l’Etat de rester au pouvoir illégalement » (Le Monde.fr, 29.05.2015). Malgré le boycotte de l’opposition, annonçait, le 28 novembre 2015,la tenue « d’un dialogue national inclusif »sur la base des résultats des consultations présidentielles menées par lui : «Après avoir recueilli vos avis directement et à travers ceux qui ont porté vos voix aux consultations, mes chers compatriotes, j’ai décidé ce jour de la convocation d’un dialogue politique national inclusif et de la mise en place subséquente d’un comité préparatoire pouvant régler tous les aspects liés à son organisation» (Radiookapi.net, 28.11.2015). Mais à quoi le dit dialogue pourrait-il aboutir concrètement ?

Si le scénario brazzavillois devrait être reproduit en RDC, on pourrait alors imaginer que le dialogue politique annoncé par Joseph Kabila et qui peine du reste à démarrer (supra) aboutisse notamment à une recommandation tendant à procéder à la révision constitutionnelle et la suppression de la limitation des mandats présidentiels. Une telle recommandation serait ensuite avalisée par le Gouvernement et soumise au Parlement sous forme de projet de révision (art. 218 al.1.2). Dans ce cas, l’hypothèse d’un troisième mandat au profit de Joseph Kabila prendrait en compteà la fois des arguments liés à la forme et au fond.

Au plan de la forme, le Parlement congolais - dans lequel la Majorité présidentielle est majoritaire–connaitrait de l’examen « du bien-fondé du projet, de la proposition ou de la pétition de révision » (Constitution, 218 al.2) soit en une session extraordinaire subséquente, soit en session ordinaire. Puisque deux sessions ordinaires (celles de mars et septembre) sont envisageables avant l’expiration du second mandat du Président en exercice, la session de mars semble la plus pertinente que celle de septembre, trop proche de la date ultime. A l’issue de l’examen du bien-fondé du projet de révision, deux voies tout aussi constitutionnelles seraient envisageables : l’approbation de la révision soit par référendum (art. 218 al.3) ou par vote parlementaire (art. 218 al.4). Mais face à la nature intangible des dispositions à réviser (art. 70 et 220) et au besoin d’asseoir la révision sur une très grande légitimité, la voie de la révision parlementaire parait juridiquement et politiquement la moinsenvisageable contrairement à la voie référendaire. Cette dernière aurait notamment l’avantage d’aboutir à une révision constitutionnelle portée par le souverain primaire et estampillée en dernier ressort par lui-même. Mais dans un cas comme dans l’autre la révision des 70 et 220 évoqués précédemment ne serait pas sans poser des problèmes de fond liés à la révisabilité des dispositions dites supraconstitutionnelles ou intangibles. Ces dispositions sont-elles susceptibles de révision notamment par voie référendaire ?

Du point de vue du fond, une certaine doctrine soutient que « le recours au référendum manifeste l’idée selon laquelle le Peuple, quelle que soit la valeur juridique de la procédure suivie pour l’interroger, manifeste une puissance suprême qui n’est autre que celle du souverain (…). Lorsqu’il modifie la Constitution par la voie de référendum, le Peuple fait acte de souveraineté et œuvre de constituant » (P. Ardent et B. Mathieu 2010 : 96) et son pouvoir ne saurait être illimité. Mais devrait-il pour autant faire fi de sa qualité de pouvoir constituant dérivé, dont les prérogatives sont encadrées tant sur la forme (art. 218) que sur le fond (art. 220) par le constituant originaire ? Cette question soulève la problématique des rapports entre le pouvoir constituant originaire et celui dérivé. « Surtout : est trop controversée en doctrine la question de savoir si le pouvoir constituant dérivé est de même nature que le pouvoir constituant originaire.» (M. de Villiers et A. Le Divellec 2013 : 268). Face à cette question, deux écoles « relativement » opposées peuventêtre évoquées : l’école française et l’école allemande[7].

L’école française, construite notamment autour des décisions du Conseil constitutionnel de 1962 (62-20 DC), 1992 (92-313 DC) et du 26 mars 2003 (n°2003-469 DC) dans lesquelles le Conseil, tout en déclinant sa compétence pour apprécier la constitutionnalité d’une loi de révision constitutionnelle découlant aussi bien du referendum que d’un vote du Congrès, a « fait implicitement sienne la conception selon laquelle le pouvoir de révision est juridiquement illimité » (P. Ardent et B. Mathieu 2010 : 96 ; M. de Villiers et A. Le Divellec 2013 : 268-269). Consécutivement à cette école, la nature intangible ou « supraconstitutionnelles » des dispositions de l’article 70 de la Constitution de la RDC relatif à la limitation du mandat présidentiel à deux ne saurait faire obstacle à la révision dudit article par voie référendaire tant il est vrai que par une telle révision le « Peuple fait acte de souveraineté et œuvre de constituant » (supra). La doctrine construite autour de cette école professe notamment que « l’idée même d’une supra-constitutionnalité est inacceptable : le peuple est souverain et le pouvoir constituant qui émane de lui n’est pas lié par des règles supraconstitutionnelles. Les limitations à la révision constitutionnelle sont ainsi considérées comme de simples « barrières de papier » (K. Gozler 1997 : 1995) facilement franchissables. En France, la situation est claire depuis que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 2 septembre 1992 (Maastricht II), a estimé que l’existence de normes constitutionnelles serait contraire au principe de la souveraineté du pouvoir constituant (…) (P. Ardent et B. Mathieu 2010 : 88). In fine, pour l’école française, aucune disposition constitutionnelle ne saurait résister à la volonté du constituant exprimée notamment à l’occasion d’un referendum constituant. Le fondement idéologique d’une telle thèse est généralement puisé dans la pensée de Thomas Jefferson qui se résume en la formule générique selon laquelle « une génération ne peut (par ses lois) lier les générations futures » :« chaque génération est indépendante de celle à laquelle elle succède, comme celle-là même l'était de la génération qui l'a précédée. Elle a, comme l'une et l'autre, le droit de se choisir la forme de gouvernement, qu'elle juge le plus favorable à son bonheur, et par conséquent, d'accommoder aux circonstances dans lesquelles elle se trouve placée, les institutions qu'elle a reçues de ses pères »[8]. Pour le cas de la RDC, la question de la « succession de génération » est à redéfinir pour une Constitution qui se prépare à ne fêter que ses dix ans d’existence politique non moins compliquée et dont plusieurs institutions ne démarrent qu’à peine leur phase d’expérimentation[9] ou demeurent soumises à un régime transitoire[10]. D’autres sont encore carrément condamnées à une profonde somnolence[11].

L’école allemande par contre, qui voit dans les dispositions constitutionnelles immuables prévues à l’article 79.3 de la loi fondamentale allemande « la garantie de pérennité constitutionnelle » (O. Lepsius 2010 : 2),tend à défendrela thèse contraire à celle de l’école française. L’objectif assigné aux dispositions intangibles est beaucoup plus explicité dans Note explicative qui accompagne la rédaction définitive de l’article 79.3. de la loi fondamentale allemande : « cette disposition a pour but d'éviter que la loi fondamentale puisse être l'objet d'une révision totale ou d'un anéantissement qui, en particulier cacherait sous un voile de légalité, un mouvement révolutionnaire antidémocratique. Un tel article ne saurait empêcher une révolution ; tout mouvement révolutionnaire est susceptible d'engendrer du droit nouveau, mais au moins il ne saurait tirer d'une légitimité ou d'une qualité juridique apparente, les titres d'une légalité nouvelle » (K. Gozler, Op. cit., p. 192). Très concrètement, « La norme de l'article 79 alinéa 3 LF a pour objectif d'empêcher que l'ordre constitutionnel puisse être supprimé dans sa substance et ses fondements par la voie purement légaliste et formelle de la révision constitutionnelle et serve à légaliser après coup un régime totalitaire » (O. Lepsuis, Op. cit., p. 2). Ainsi, la jurisprudence récente et constate de la Cour constitutionnelle allemande (voy. Notamment l’Arrêt relatif au traité de Lisbonne) affirme la compétence de la Cour dans la vérification du respect « du noyau dur intangible de l'identité constitutionnelle de la Loi fondamentale garantie par l'article 23 alinéa 1 phrase 3 LF combiné à l'article 79 alinéa » et rend de ce fait la Cour gardienne « des principes constitutionnels fondamentaux de l’article 79 alinéa 3 LF » en prévenant « une atteinte au pouvoir constituant du peuple » (O. Lepsuis, Op. cit., p. 6). Puisque « le pouvoir de révision de la Constitution est un pouvoir institué, on voit mal comment un pouvoir institué pourrait détruire le texte qui l'institue, car il perdrait du même coup la base de sa légitimité ». C’est dans ce sens que tout en affirmant« le droit imprescriptible » de la Nation (française) « de changer sa Constitution », la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et la Constitution du 3 septembre 1791 qui en a découlé avaient considéré néanmoins « qu’il est plus conforme à l’intérêt national d’user seulement, par les moyens pris dans la Constitution même, du droit d’en réformer les articles dont l’expérience aura fait sentir les inconvénients (…) » (S. Rials 2009 : 13). Partant des enseignements tirés de l’école allemande, les dispositions intangibles contenues dans la Constitution de la RDC seraient insusceptibles de révision, même par voie référendaire.

En définitive, si l’école allemande tend à défendre la thèse de la non-révision des dispositions supra-constitutionnelles en limitant de ce fait le pouvoir du constituant dérivé ou institué, l’école française réduit comme en peau de chagrin la distinction entre le constituant originaire et le constituant dérivé et défend plutôt le caractère illimité du pouvoir de révision. Quelle leçon tirée d’une telle controverse sur la réalité concrète des dispositions supra-constitutionnelles contenues dans la Constitution de la RDC ? A cette question, il est possible de soutenird’entrée de jeu que de par sa proximité et son influence idéologique sur « sa petite sœur africaine[12]» (la constitution Congolaise), la Constitution française et la thèse du pouvoir illimité du constituant dérivé construite autour d’elle est philosophiquementla plus proche de la réalité congolaise. Mais elle ne nous semble pas la mieux indiquée politiquement. En effet, avec un bilan politique trop peu reluisant caractérisé notamment par les 32 ans du régime monolithique de Mobutu et les 16 ans successifs de transition politique séquencée souvent des conflits armés au bilan humanitaire trop grave, la RDC a aujourd’hui besoin d’une stabilité constitutionnelle qui consolide les institutions démocratiques et favorise leur enracinement dans la vie politique de la Nation. Ce serait ainsi se leurrer quede méconnaitre la dimension ou le « fondement » politique (J-L. Esambo 2010: 211) que charrie la question de la limitation des mandats présidentiels en RDC, au détriment d’un juridisme parfois bayant, en déphasage complète avec l’intérêt national. En effet, lalimitation des mandats, fruit d’un large consensus laborieusement obtenu par les protagonistes des conflits meurtriers que la RDC a connu vers la fin des années 1990, participe non seulement du désir ardent du remodelage de la gouvernance politique ternie notamment par les 32 ans de dictature de Mobutu, mais surtout du souci de rationnaliser la dévolution du pouvoir en assurant et protégeant l’alternance démocratique au sommet du pays par la limitation du nombre et de la durée du mandat présidentiel. Sacrifier un tel idéal politique à l’hôtel des egos des uns et des autres équivaudrait hypothéquer les efforts consentis pendant plus de dix ans pour maintenir cette jeune, chancelante et balbutiante démocratie. Les risques d’un saut dans le vide seraient alors on ne peut plus incalculables. Enfin de compte, ce n’est qu’en interprétant le contenu des articles 70 et 220 de la Constitution congolaise également au gré de cette dimension politique importante, contraignante et lourde d’enjeux que l’on pourrait utilement définir la vraie nature du pouvoir constituant dérivé ou « pouvoir de révision » dans le contexte de la RDC.La révision constitutionnelle devrait alors avoir pour objet et pour finalité de résoudre les problèmes et non d’en aggraver ni d’engendrer des problèmes nouveaux. Ainsi, loin d’adhérer démesurément au courant doctrinal qui prône assez facilement la mort de la distinction classique entre le souverain primaire originaire et le souverain primaire dérivé, le juge constitutionnel congolais devrait-il assurer et assumer son rôle de gardien de la Constitution en prenant position en faveur de la stabilité, et la consolidation de l’idéal politique que cette dernière entend défendre à travers ses dispositions supra-constitutionnelles. Ces dispositions sont donc insusceptibles de révision constitution.

Le scénario rwandais ou le troisième mandat par initiative populaire

Ayant brillé par des critiques parfois acerbes à l’égard de Pierre Nkurunziza qu’il présentait comme un Chef de l’Etat qui « massacre sa population » pour se maintenir au pouvoir, Paul Kagame a presque surpris plus d’un en adoptant à son tour une attitude non moins conservationniste que celle affichée par son homologue burundais quelques mois plutôt. Mais rien ne semblait illégitime aux yeux du leader rwandais tant que tout était parti du peuple et porté par le peuple. Et ce, en dépit du fait que l’initiative populaire en matière de révision constitutionnelle ne soit pas constitutionnellement organisée au Rwanda (voy. Const : Art. 193, al. 1). En mai 2015, le Parlement rwandais avait « en effet annoncé avoir reçu environ deux millions de signatures de citoyens en faveur d'une réforme de la Constitution permettant au président Kagame de se représenter une troisième fois en 2017 » (RFI, 28-5-2015). Au fond, les pétitionnaires militaient pour la révision de l’article 101 de la Constitution qui limitait le nombre des mandats présidentiels à deux, disqualifiant de facto et de jure le président Kagame qui en était à son second et dernier mandat. La démarche populaire avait par la suite été doublée de celle parlementaire, menée à travers les consultations populaires à l’issue desquelles seulement « dix rwandais » (RFI, 2015) se seraient opposés à la révision de la Constitution. Ainsi, après avoir été successivement adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat, le Projet de texte de révision préparé par « la commission des sept ministres » fut-il soumis au referendum organisé les 17 et 18 décembre 2015 respectivement pour les rwandais de l’étranger et ceux vivant au pays. Plébiscité à près de 99%, la Constitution révisée fut promulguée le 23 décembre 2015. Au fond, tout en réaffirmant le principe de la limitation de mandats présidentiels, le constituant rwandais n’a pas manqué d’étaler son génie créateur à travers l’instauration du système qu’il conviendrait de nommer de « 7+5+5 ». En clair, « Le nouvel article 101 fait passer de sept à cinq ans le mandat présidentiel et en limite le nombre à deux. Mais le nouvel article 172 précise que cette réforme n'entrera en vigueur qu'à l'issue d'un nouveau septennat transitoire entre 2017 et 2024, pour lequel le président actuellement "en exercice" reste éligible, de même qu'ensuite pour les deux quinquennats prévus dans le nouvel article 101 » (LADECHE.fr, 17-11-2015).

Appliqué au cas de la RDC, le modèle rwandais du troisième mandat sur initiative populaire appelle deux précisions d’ordre procédural, l’une liée à l’initiative et l’autre à l’examen du bien-fondé. Dans le premier cas, il sied de préciser que contrairement à la Constitution rwandaise, sa sœur congolaise organise la révision sur initiative populaire,« en l'occurrence 100.000 personnes, s'exprimant par une pétition adressée à l'une des deux Chambres » (art. 218, al.1). Sous ce premier aspect des choses, la reproduction du scénario rwandais ne poserait aucun problème de constitutionnalité, l’initiative populaire de révision constitutionnelle par le biais d’une pétition étant constitutionnelle en elle-même, et donc recevable au Parlement. Parallèlement, l’exigence d’un minimum de 100.000 signatures ne saurait aucunement faire obstacle à une telle initiative dans un Etat où le Président en exercice a toujours été – officiellement- élu avec plus de 5 millions de voix d’une part, et où le pouvoir en place a la main mise sur la quasi-totalité des institutions et services publics tant du pouvoir central que des provinces et entités locales, décentralisées comme déconcentrées, d’autre part.Dans le second cas, l’examen du bien-fondé de la pétition de révision par le Parlement suivrait le même court que la question de la recevabilité étant donné que la Majorité présidentielle semble garder une majorité très confortabledans les deux Chambres malgré la fronde du groupe dit de « G7 ». Faut-il d’ailleurs rappeler qu’en janvier 2011 la révision constitutionnelle ayant conduit notamment à la suppression du second tour pour l’élection présidentielle a été adoptée à l’absence de la quasi-totalité des députés de l’opposition ?

La légalité de l’adoption parlementaire ne devrait toutefois pas éluder la problématique de la nature juridique du contenu de la révision (supra) ni taire les divergences politiques construites autour du caractère immuable de la limitation du mandat présidentiel. D’où peut-être l’éventualité de la nécessité de soumettre la question à l’appréciation du souverain primaire par le biais du referendum. Tout en reconduisant les arguments déjà développés sur la révisabilité des dispositions supra-constitutionnelles (supra), il sied d’ajouter que pour son opérationnalisation en RDC le referendum se heure à deux contraintes majeures, l’une juridique et l’autre technique.

Sur le plan juridique, la RDC connait un vide qui ne saurait être couvert par une simple ordonnance présidentielle (telle que ce fut récemment le cas au Rwanda). La loi organique prévue à l’article 5 de la Constitution de la RDC relatives aux conditions d’exercice du referendum n’existe pas encore à ce jour. La tentative de faire inscrire l’examen du projet d’une telle loi à la dernière session budgétaire s’est soldée par des vives protestions de l’opposition au point que l’initiative semble avoir été purement et simplement été étouffée dans l’œuf, du moins pour l’instant. Pourra a-t-elle avoir la chance d’être inscrite à la prochaine session de mars ou à une session extraordinaire ? Les indicateurs politiques de l’heure ne sauraient laisser entrevoir une telle probabilité sans trahir les velléités révisionnistes et conservationnistes des initiateurs. En attendant, il est évident qu’en RDC le referendum demeure à ce jour partiellement inorganisé.

Sur le plan purement technique, la tenue d’un referendum en RDC pose quasiment les mêmes contraintes que celles de l’organisation de l’élection. Les plus importantes de ces contraintes sont notamment le recensement général de la population, la tenue d’un fichier électoral fiable et à jour, l’enrôlement de nouveaux majeurs et la question du financement des opérations référendaires. Si depuis 5 ans la RDC peine à surmonter ces obstacles qui devraient pourtant permettre de désamorcer le processus électoral en panne depuis 2011, on concevrait difficilement que cela soit possible dans le temps matériel restant à couler avant la présidentielle projetée vers la fin de l’année 2016.

Fort de toutes ces considérations, il y a lieu de soutenir qu’au-delà des nombreuses difficultés d’ordre juridique et pratique à surmonter, l’attitude avant-gardiste et proactive de l’opposition politique, la société civile et certaines confessions religieuses semble suffire pour conclure en la difficulté - si pas l’impossibilité - de la reproduction du scénario rwandais en RDC. Et si la RDC innovait dans ce grand débat africain surla conservation du pouvoir au-delà des termes constitutionnels ?

La diversion : vers une originalité congolaise ?

L’expérience tend à démontrer que s’il est vrai que les différentes velléités de conservation de pouvoir qui caractérisent les Etats de la Région ont plusieurs points en commun, il n’en demeure pas moins que chaque Etat a au moins un point sur lequel il tend à innover : Interprétation de la Constitution pour les uns, consultations, dialogue politiques ou pétitions populaires pour les autres. Quelle surprise la RDC réserve-t-elle donc au monde dans cette saga de tripatouillage constitutionnel où les chefs d’Etat évitent à tout prix à se retrouver sur le blanc des vétérans ? Au-delà des scénarios sus analysées, quatre hypothèses sont également possibles pour la RDC : le glissement, la transition, le retrait et enfin le soulèvement.

L’hypothèse de glissement, incidentiellement et en partie évoquée dans les développements précédents, consiste à construire des artifices politico-juridiques afin de rendre intenables les délais constitutionnels pour le renouvellement des institutions politiques, l’occurrence la présidence de la République.Sur le plan juridique, un tel plan s’exécuterait notamment à travers des interprétations opportunistes sollicitées, in extremis, auprès de la Haute cour et pour des dispositions constitutionnelles considérées ambigües dans leur contenu (voir art. 70 al.2 supra). Des telles interprétations auraient pour effet non pas d’accorder un quitus à un mandat de plus, mais de légitimer le prolongement de la période intermédiaire entre la désinvestiture du Président sortant et l’élection suivie de l’investiture du nouveau Président de la République. Un tel prolongement pouvant valoir un « troisième mandat déguisé » ou mieux un « troisième mandat de fait ».A ce propos, il sied de rappeler en effet l’abondance de la doctrine, la jurisprudence et la pratique congolaises susceptibles de faire le lit de la reproduction d’un tel scénario (supra).

Sur le plan politique, la thèse du glissement se déclinerait sur la multiplication des contraintes considérées comme préalables au renouvellement des institutions politiques et dont la matérialisation serait soit impossible soit de nature à impacter négativement sur le respect des délais constitutionnels. Au nombre de ces contraintes l’on peut notamment évoquer l’organisation d’un recensement général avant la tenue des élections, la tenue d’un dialogue national dans un contexte de déchirements entre la majorité, l’opposition et la société ou encore le désir de remplacer « le vote par bulletin à papier » par « le vote électronique » (J. Kabila, 14 décembre 2015) dans un contexte où entre « 9 et 15% » de l’étendue du territoire national est alimenté en électricité (J. Kabila, 14 décembre 2015), moins de 1% par la fibre optique et où presque la même proportion seulement de la population est en même de manier l’outil informatique. En clair, il s’agit d’adopter une « stratégie politique du pourrissement » dont les effets conduiraient au dépassement des délais constitutionnels.

L’hypothèse de la transition, défendue par une certaine frange de l’opposition politique (voir la déclaration de l’opposition pro-dialogue national, janvier 2016) aurait pour effet de faire table rase des institutions constitutionnelles en place (art. 68) en ressuscitant de ses décombres la formule du « Partage de pouvoir entre composantes et entités » jadis enterrée avec la promulgation de la Constitution de la troisième République. Cette dernière ne résisterait raisonnablement pas à cette transition. L’effet étant aussi de la substituer par une nouvelle constitution et, partant, permettre notamment au Président en exercice de se représenter sous l’empire de la nouvelle Constitution. Au fond, la transition aboutirait à une réforme de la Constitution et à une institution de nouvelles institutions, une idée que la CENCO notamment a complétement réfutée (supra). Puisqu’elle annihile tous les efforts et sacrifices consentis depuis plus de dix ans dans la pacification et la consolidation de la démocratie en RDC, l’idée d’une transition est peut-être la pire des pires au regard également de l’incertitude et du risque de basculement dans la violence qu’elle charrie.

L’hypothèse du retrait, la meilleure peut-être et la moins couteuse en énergie et moyens, consisterait pour le Président Kabila à prendre position en faveur de la Constitution dont il est par ailleurs le garant, en décidant de ne pas se représenter en 2016. Cette décision permettrait non seulement d’accorder au Président sortantune sortie, et peut-être une retraite, honorable, mais aussi et surtout elle serait hautement symbolique à deux titres. D’abord parce qu’elle permettrait à la RDC de revendiquer une place d’honneur dans le concert des Etats démocratiques, notamment par l’exception qu’elle aura faite dans ce cafouillage régional de cramponnement au pouvoir par l’effet des tripatouillages constitutionnels. Ensuite parce qu’elle ferait cas, en permettant à la RDC non seulement de connaitre enfin sa première expérience d’alternance démocratique par un transfert « civilisé » (L. Mende, 2015) du pouvoir, mais aussi d’avoir son premier ancien président démocratiquement élu depuis son accession à l’indépendance. Il s’agit là donc d’une décision qui élèverait la République entière, son auteur en premier. Pour y arriver, le Président en exercice pourrait toutefois maintenir un suspens jusqu’au bout.

L’hypothèse du soulèvement enfin, l’une des plus négatives également, consisterait en des actions citoyennes (soulèvement populaire) ou militaires (soulèvement militaire) tendant à imposer soit le respect des délais constitutionnels (dans l’hypothèse de glissement) soit le retour à l’ordre constitutionnel (dans l’hypothèse de la transition). Elle apparait ainsi comme la réaction citoyenne à la reproduction des deux premières hypothèses. Elle aurait pour fondement légal l’article 64 de la Constitution (supra) qui dispose en son alinéa premier que « Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d'individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l'exerce en violation des dispositions de la présente Constitution ».En clair, cette « constitutionnalisation de la rébellion » conduirait à la reproduction du scénario burkinabé de 2014 en RDC.

Conclusion

En guise de conclusion, il est évident que tous les scénarios et hypothèses développés dans la présente analyse sont suspendus à la volonté unilatérale de faire ou de ne pas faire d’un citoyen de la République. En attendant qu’une telle volonté soit exprimée, l’on peut légitimement soutenir que l’année 2016 est lourde d’enjeux en RDC. Au-delà du dialogue politique dont semble désormais dépendre le déclenchement ou la poursuite du processus électoral (voy. Déclarations récentes du Président de la CENI), lequel dialogue a d’ailleurs du plomb dans l’aile, il s’observe sur terrain moult initiatives qui forcent à la fois l’espoir et l’interrogation :

   * Un volte-face récurrent des acteurs face à la participation ou non au fameux dialogue politique ;

   * Un foisonnement des plates formes de l’opposition, parfois sans agenda précis et avec une duplicité au sein des membres ;

   * Un mouvement citoyen (le Front citoyen 2016) avec un objectif « d’imposer l’alternance » et qui, de plus en plus, allie à sa cause des     grands leaders de l’opposition ;

   * Une scission apparente mais de plus en plus réelle entre les Confessions religieuses, en l’occurrence l’Eglise catholique et les autres confessions religieuses, laquelle scission a notamment atteint son paroxysme à l’occasion de la désignation récente du nouveau président de la CENI ou à travers des multiples guerres des communiqués ;

   * Une série des réformes à la fois surprises et dont l’opportunité n’est pas sans polariser controverse. Au nombre de ces réformes, l’on peut noter l’installation des caméras de surveillance dans les recoins de Kinshasa, le remplacement des passeports, l’identification obligatoire de tous les usagers de la téléphonie mobile ;

   * Une Communauté internationale manifestement épuisée par la question du troisième mandat au Burundi et qui ne se contente plus qu’à appeler au « rassemblement[13] » ou, à la limite, à exprimer son « regret[14] » après l’accomplissement du forfait constitutionnel.

Entretemps, le Chef de l’Etat congolais excelle par des actes de légitimation dignes des gestes de campagne électorale : inauguration des grands et petits travaux aussi bien dans les villes et territoires que dans les quartiers de la République, octroi des médailles de mérite à certaines couches de la population, adoption des mesures de grâce présidentielle en faveur de plusieurs détenus, etc.

Est-ce aussi une façon pour ce premier Président démocratiquement élu de faire ses adieux ?

 

Par Paterne Murhula Batumike

 

Paterne Murhula Batumike est doctorant en droit à l’Université d’Anvers.

Ses recherches doctorales portent sur « La Gestion du contentieux électoral en Afrique des Grands Lacs : cas de la RD. Congo et du Burundi ». Il est par ailleurs chef des travaux à l’Université Catholique de Bukavu (UCB) et avocat au Barreau de Bukavu

Contact: paterne.murhulabatumike@student.uantwerpen.be

                                                                                   

Eléments de bibliographie



Constitution de la République du Burundi du 18 mars 2005.

Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, telle que révisée le 20 janvier 2011.

Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2003, telle que révisée le 23 décembre 2015.

Constitution de la République du Congo du 20 janvier 2002.

Constitution de la République Fédérale d’Allemagne du 23 mai 1949, telle que révisée à ce jour.

E. Boshab, Entre la révision de la constitution et l’inanition de la Nation, Larciers, 2013.

D. Pollet-Panoussis, La Constitution congolaise, petite sœur africaine de la Constitution française, RFDC, n°75, 2008.

J.-L. Esambo, La Constitution congolaise de la Troisième République à l’épreuve du constitutionnalisme. Contraintes pratiques et perspectives,Academia, 2010.

K. Gozler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse de doctorat, Université Montesquieu Bordeaux IV, 1995.

M. de Villiers et A. Le Divellec, Dictionnaire du droit constitutionnel, 9e édition, Sirey, 2003.

O. Lepsuis, Le contrôle par la Cour constitutionnelle des lois de révisions constitutionnelles dans la République Fédérale d’Allemagne, Cahiers du conseil constitutionnel n°27 (Dossier : contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles), janvier 2010.

P. Ardant et B. Mathieu, Institutions politiques et Droit constitutionnel, 22e édition, L.G.D.J, 2010.

P. Murhula,Réfugiés burundais : des risques sécuritaires et fonciers pour la Région, Eclaire, GRIP, 2015.

S. Rails, Textes constitutionnels français, Collection « Que sais-je », 124e mille, PUF, 2009.

S. Vandeginste, Droit et pouvoir au Burundi : un commentaire sur l’arrêt du 4 mai 2015 de la Cour Constitutionnelle dans l’affaire RCCB 303, IOB, 2015.

W. Burckhardt, Kommentar des SchweizerischenBundesverfassungvom 29. Mai 1874, Bern, 1905

 

Notes

[2] Cour constitutionnelle du Burundi, siégeant en matière d’interprétation de la Constitution, RCCB 303, 04 mai 2015, Sixième feuillet. Lire à ce propos S. Vandeginste, Droit et pouvoir au Burundi : un commentaire sur l’arrêt du 4 mai 2015 de la Cour Constitutionnelle dans l’affaire RCCB 303.

[3] P. Murhula, La légitimité des institutions électorales en situation post-conflit : cas du Burundi (sous presse).

[4] P. Murhula, Réfugiés burundais : des risques sécuritaires et fonciers pour la Région, Eclaire, GRIP, 2015.

[5]« Le scrutin pour l'élection du Président de la République est convoqué par la Commission électorale nationale indépendante, quatre-vingt-dix jours avant l'expiration du mandat du Président en exercice ».

[6]« Le Président de la République élu entre en fonction dans les dix jours qui suivent la proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle ».

[7]Sur la question, il s’impose de signaler que la problématique de la révisablité des dispositions supra-constitutionnelles contenues dans la Constitution de la RDC du 18 février 2006 a fait l’objet d’analyses notamment par le Professeur Evariste Boshab en 2013 (Voy. E. Boshab, Entre la révision de la constitution et l’inanition de la Nation, Larciers, 2013). Au-delà des critiques essuyées par l’ouvrage lors de sa parution, il est utile de reconnaitre que l’auteur y pose pour la première fois la problématique de la révision des dispositions constitutionnelles intangibles, en l’occurrence la question de la limitation des mandats. Toutefois, par sa démarche à sens unique, consistant à ne présenter et prendre position que sur la base des arguments en faveur d’une telle révision (voir l’école française), l’auteur semble avoir ratél’occasion d’aborder la problématique dans sa globalité. A cet effet, il important de saluer le travail fait par Kemal Gozler (K. Gozler, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse de doctorat, Université Montesquieu Bordeaux IV, 1995) qui, contrairement à l’auteur précédent, présente les deux sons de cloches et se positionne à l’aune de la confrontation des deux thèses en présence. Notre démarche ici va dans ce sens en rediscutant la problématique des dispositions immuables prévues par la Constitution de la RDC par l’opposition, ou mieux la confrontation, entre ces deux écoles.

[8]Voy. Lettre à Samuel de Kerchival du 12 juillet 1816, Mélanges politiques et littéraires, extraites de mémoires et de la correspondance de Thomas Jefferson, Paris, 1883, t.II, p.287. Cité par K. Gozler, Op. cit., p. Cette idée a été théorisée notamment à partir de W. Burckhardt, (W. Burckhardt, Kommentar des SchweizerischenBundesverfassungvom 29. Mai 1874, Bern, 1905, p.7 et s. cité par Carré de Malberg, Contribution..., op. cit.,t.II, p.524, note 17. Cités par K. Gozler, Op. cit., p.184) et depuis lors elle a gagné la pensée de plusieurs auteurs contemporains.

[9] C’est le cas notamment des 26 Provinces prévues à l’article 2 de la Constitution, la Cour constitutionnelle (art. 157) ou le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (art. 212) qui ne sont effectifs que depuis quelques mois.

[10] C’est aussi le cas notamment de la Cour de cassation (art. 153, al.1) et du Conseil d’Etat (article 154) dont les compétences continuent à être exercées provisoirement par une Cour Suprême de Justice difforme car amputée de la Cour constitutionnelle devenue autonome. 

[11] Cas notamment de la Caisse nationale de péréquation prévue à l’article 181.

[12]Voy. D. Pollet-Panoussis, La Constitution congolaise, petite sœur africaine de la Constitution française, RFDC, n°75, 2008. Citée par E. Boshab, Op. cit., p. 131.

[13]Voy. Notamment la Déclaration du Président français François Hollande après l’adoption de la révision constitutionnelle par referendum au Congo-Brazza.

[14]Voy. Notamment la timide réaction de la Maison blanche après l’adoption de la révision constitutionnelle par referendum au Rwanda.

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